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quantité invariable de produits, qui peut, dans les mauvaises années, enlever au fermier toute sa récolte, il ne fait encore que trop souvent illusion. Il n’est pas rare que des laboureurs offrent en tonneaux de blé une somme dépassant, d’après les évaluations les plus modérées, un prix qu’ils se refusent à payer en argent. C’est le résultat d’une habitude traditionnelle, qui tient au fond d’assez près au métayage, et qui prévalait naturellement jadis au sein d’une société où la monnaie était peu connue sous le toit du laboureur, et où l’on n’avait aucune notion un peu exacte des compensations qu’elle permet.

Si tenace qu’il semble, cet usage est destiné à disparaître peu à peu, à mesure que l’instruction se répandra davantage. Il s’est depuis longtemps modifié déjà pour l’exploitation des vignes. On y trouve bon en général que la part du propriétaire consiste dans un prélèvement en nature, mais non plus avec une quantité invariable. Courant comme le vigneron toutes les chances des mauvaises années, il perçoit, suivant le cas, le quart, le tiers, rarement la moitié de la récolte. Dans ce métayage plus ou moins fortement mitigé, on a conservé les termes du vieux droit breton. C’est toujours le bail à comptant, qui suppose à l’origine une plantation en commun, — plantare cum, — et dont l’acte porte le nom significatif de prise. Effectivement le fermier prend, il prend possession du fonds, et pour toujours, sans éviction possible» sauf le cas d’inexécution du contrat[1].

Le commerce des produits agricoles est fort bien entendu dans toute la région. Le cultivateur vend quelquefois sa récolte sans se déplacer à des marchands de blé ou à des courtiers qui parcourent les campagnes; mais la masse des transactions s’opère sur les marchés publics, dans plusieurs petites cités, dont quelques-unes sont très actives et très vivantes, comme est Saint-Père-en-Retz, Arthon, Bourgneuf-en-Retz. Sainte-Pazanne, Port-Saint-Père, le Pellerin, sur la rive gauche; Guérande, Herbignac, Pont-Château, sur la rive droite. Nulle part on ne peut mieux saisir les tendances économiques de la population. Tout se traite au comptant; il n’y a d’exception que pour le blé, et encore en une limite extrêmement restreinte. Le jeu de l’offre et de la demande, facile à saisir dans ces transactions, est une des lois économiques dont le paysan conçoit le mieux sinon le principe, du moins les effets immédiats. Il commence également à comprendre l’avantage des transactions rapides, c’est-à-dire le prix du temps. Ramener sa marchandise à sa

  1. Les vestiges de cet arrangement, toujours si répandu au bas de la Loire, se retrouvaient, il n’y a pas plus d’une quarantaine d’années, au-dessus de Nantes, dans les vignobles d’Ancenis, de Varades, de Saint-Herblon; mais ils eu ont disparu peu à peu par suite de cessions volontaires.