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sèchement et la division, où mener paître les troupeaux? où trouver des moyens de chauffage? comment remplacer pour les budgets des familles les autres avantages dus à la Brière? quelles combinaisons nouvelles pourraient jamais compenser de si cruels sacrifices? Telles sont les questions qu’on s’adresse, ou plutôt non, ce ne sont point des questions, ce sont autant de causes de soulèvemens intérieurs qui troublent les esprits, et qui, le cas échéant, courraient risque d’armer les bras. A coup sûr, cet état de l’opinion ne saurait échapper à ceux qui pourraient exercer quelque influence sur des résolutions concernant de près ou de loin des projets de partage. Sur ce point, les populations briéronnes sont d’une clairvoyance extrême. Les déguisemens n’y font rien. Tout un plan de dessèchement et de réglementation générale avait été conçu, il y a quelques années, sous l’administration de l’un des derniers préfets, qui a longtemps occupé son poste, plan malheureux sous plus d’un rapport, et qu’on avait qualifié à grand bruit d’amélioration. Il y eut même une fête inaugurale des premiers travaux; mais la masse ne se laissa pas longtemps tromper par ce mirage, et, d’après les sentimens qu’elle manifesta, l’exécution fut très sagement abandonnée.

Nul doute que ces projets de dessèchement, qui conduiraient forcément au partage, n’eussent fait disparaître toutes les garanties inhérentes à la jouissance collective. Qu’y gagnerait-on au point vue de l’intérêt général? Peu de chose, si l’on n’y perdait pas. Le centre de la Brière, c’est-à-dire le sol même où la tourbe existe à l’état exploitable, ne donnerait rien à la culture sans beaucoup de temps et de très lourdes dépenses. D’après les calculs émanés d’hommes très compétens qui ont pu voir de près la gestion actuelle, le domaine commun, avec ses produits multiples, rend plus aujourd’hui qu’il ne rendrait après la mise en culture. On va même parfois très loin dans l’appréciation de la différence. J’ai entendu articuler sur les lieux les chiffres de 10, 15 et 20 fois plus. Il est constant du moins que le dessèchement ne pourrait être fructueux que sur le pourtour de la Brière. Une distinction peut dès lors être admise jusqu’à un certain point. C’est à la conservation du terrain central, qui fournit les mottes et le noir ainsi que les principaux alimens de la chasse et de la pêche, que s’attache l’intérêt le plus réel des populations. Les terres extérieures appartiennent bien durant l’été à la vaine pâture; isolément considéré cependant, l’avantage qu’elles offrent ne serait pas difficile à contre-balancer. Même avec cette distinction, essentielle en toute hypothèse, la question est encore irritante et périlleuse. La plus simple justice veut qu’on n’oublie jamais qu’il s’agit d’un domaine consacré par le temps, par les mœurs, par les besoins des familles. On objecte, il est vrai, que dans l’état actuel toutes les com-