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tention que nous lui prêtons, ce ne fut qu’un dessein passager. Bientôt même il renonça complètement aux études de physique. On dit que Clairaut fut pour beaucoup dans cette résolution. « Laissez les sciences, lui disait-il, à ceux qui ne peuvent pas être poètes. » Voltaire trouva sans doute que ses progrès dans les sciences ne répondaient pas à ses efforts, et il cessa d’y consacrer un temps qu’il trouvait facilement à mieux employer pour sa gloire. « Tous les hommes, écrivait-il plus tard, ne sont pas nés avec toutes les sortes d’intelligence. J’ai connu le nombre prodigieux de choses pour lesquelles je n’avais aucun talent. J’ai trouvé que mes organes n’étaient pas disposés à aller bien loin dans les mathématiques. J’ai éprouvé que je n’avais nulle disposition pour la musique. Dieu a dit à chaque homme : Tu pourras aller jusque-là, et tu n’iras pas plus loin. Non omnia possumus omnes... Dieu a donné la voix aux rossignols et l’odorat aux chiens. » Dans sa réaction contre l’entraînement de la physique. Voltaire apporte la vivacité et la passion qu’il met à tout. Après avoir déployé tant d’ardeur à répandre les idées de Newton, il trouve tout à coup que Paris s’occupe trop d’un pareil sujet. Il écrit à M. d’Argental à la fin de 1741 : « La supériorité qu’une physique sèche et abstraite a usurpée sur les belles-lettres commence à m’indigner. Nous avions, il y a cinquante ans, de bien plus grands hommes en physique et en géométrie qu’aujourd’hui, et à peine parlait-on d’eux. Les choses ont bien changé. J’ai aimé la physique tant qu’elle n’a point voulu dominer sur la poésie; à présent qu’elle écrase tous les arts, je ne veux plus la regarder que comme un tyran de mauvaise compagnie... On ne saurait parler physique un quart d’heure et s’entendre. On peut parler poésie, musique, histoire, littérature, tout le long du jour. » Et en effet, à partir de 1742, Voltaire ne s’occupe plus guère de Newton et consorts; les études historiques reprennent chez lui tout le terrain que la physique a perdu. Voici venir d’ailleurs l’année 1743, pendant laquelle il devient une manière de diplomate; il court sur les bords du Rhin avec une mission secrète obtenue par le crédit de Mme de Châteauroux; il va à La Haye, il va à Potsdam; il est chargé de brouiller les états-généraux de Hollande avec le roi de Prusse et d’amener ce prince à recommencer la guerre contre l’Autriche. Les quatre ou cinq dernières années du séjour à Cirey sont consacrées à de nombreux voyages à Paris, puis à des excursions fréquentes à la cour du roi Stanislas. Nous arrivons ainsi aux incidens qui coûtèrent la vie à Mme du Châtelet, et qui, en brisant tout à coup les liens qui retenaient Voltaire depuis quinze années, vinrent le jeter dans une nouvelle existence.

On a maintes fois raconté la mort de Mme du Châtelet, et tout le