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fin imprimé une direction fatale aux ambitions catholiques et autrichiennes. Les états, toujours en guerre avec l’Espagne épuisée, alliés de la France, traitaient désormais avec les grandes puissances sur le pied de l’égalité. La paix de Munster ou de Westphalie vint régulariser leur position comme confédération indépendante et reconnue. L’Espagne dut enfin céder. La petite Néerlande entra désormais dans la famille européenne. Sa lutte de quatre-vingts ans aboutissait à la liberté pleine et entière. Jamais persévérance plus héroïque n’avait été plus glorieusement récompensée. En même temps que la situation politique et commerciale accusait une prospérité inouïe, que des marins tels que Ruyter, Tromp, G. De Witt, promenaient triomphalement sur les mers l’étendard national, les sciences, les lettres, les arts, semblaient avoir élu la jeune république pour leur asile de prédilection. Grotius, Saumaise, Vossius, Vondel, par leurs écrits, Rembrandt, van der Helst, Hobbema, Berchem, les van de Velde, Cuyp, Ruysdael et tant d’autres, par leurs toiles immortelles, lui conciliaient les sympathies de toute l’Europe. Spinoza allait bientôt se révéler, Descartes ne voulait pas vivre ailleurs, «Dans quel pays, écrivait-il à Balzac, trouve-t-on plus aisément tout ce qui peut intéresser la vanité ou flatter le goût? Y a-t-il un pays dans le monde où l’on soit plus libre, où le sommeil soit plus tranquille, où il y ait moins de dangers à craindre, où les lois veillent mieux sur le crime, où les empoisonnemens, les trahisons, les calomnies, soient moins connus, où il reste plus de traces de l’heureuse et tranquille innocence de nos pères? » C’était alors un de ces momens bénis de la vie des nations jeunes et fortes où leurs énergies se déploient ensemble avec une sève et une harmonie d’une prodigieuse fécondité, où les cœurs des individus s’élèvent en même temps que la conscience publique. Se rappelle-t-on le magnifique tableau de van der Helst qui se trouve au musée d’Amsterdam, et qui représente un banquet de gardes bourgeoises réunies en l’honneur de la paix de Munster? Un militaire peut sourire de leur accoutrement guerrier; mais comme ces bourgeois sont carrément campés! quelle assurance dans les regards! quelle solidité dans cette attitude de gens libres, riches, se sachant chez eux, ne connaissant au-dessus d’eux que le ciel de Dieu, et ne craignant pas plus désormais les armées impériales et royales du sud que les vagues de la Mer du Nord, qui viennent se briser impuissantes contre leurs digues! Je doute qu’en Europe à cette époque, dans n’importe quel autre pays, un peintre eût pu rassembler vingt-deux portraits bourgeois d’une pareille fierté.

Cats eut donc le bonheur de diriger les affaires de son pays en un temps de prospérité merveilleuse. Toutefois, dans une grave