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CARACTÈRES
ET
PORTRAITS DU TEMPS

ROSSINI.

Occuper son époque est déjà un très grand point, même quand les moyens que l’on emploie pour y parvenir ne sont pas exempts d’un certain charlatanisme; mais régner sur son temps par la seule force du talent et du génie, partir de rien pour arriver à tout, verser dans le trésor commun du siècle une immense somme d’idées qu’il tourne et retourne, agite, caresse, remue, dépense avec passion, voilà le vrai jeu, le vrai art, et celui qui aura vécu pour cette tâche n’aura point inutilement vécu. Ce fut le sort de Rossini. M. Richard Wagner, dans une lettre toute récente publiée par la Gazette d’Augsbourg, l’accuse d’avoir été l’homme de son temps. Il le fut en effet, et peut-être beaucoup trop; mais enfin à cette époque de « pure décadence » où Rossini vint au monde, et « dans cet état de choses dont il subit l’influence fatale et qui devait nuire d’une si terrible façon au développement de ses facultés, » on n’avait pas encore inventé cette merveilleuse idée de composer de la musique destinée à n’être comprise que des générations futures. On était d’abord l’homme de son temps, quitte à devenir plus tard, quand on pouvait, l’homme de l’avenir; attendu qu’il serait assez difficile de citer un homme ayant bien travaillé pour son temps qui