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publié en 1775 un traité en trois volumes, de l’Influence de l’âme sur le corps et du corps sur l’âme. Ce qu’était sa théorie, on l’imagine aisément ; mais il est bien certain qu’il n’avait pour l’appuyer qu’une provision de faits insuffisante. Ses opinions s’exprimaient d’ailleurs dans un style dithyrambique pour lequel il invoquait le patronage de l’auteur de la Nouvelle Héloïse et d’Émile. « Prête-moi ta plume, lui disait-il, pour célébrer toutes ces merveilles ; prête-moi ce talent enchanteur de montrer la nature dans toute sa beauté ; prête-moi ces accens sublimes !… » Voltaire objecte à Marat qu’il ferait mieux d’invoquer Boerhaave et même Hippocrate qu’un faiseur de romans. « M. Marat croit avoir découvert que le suc des nerfs est le lien de communication entre les deux substances, le corps et l’âme. C’est avoir fait en effet une grande découverte que d’avoir vu de ses yeux cette substance qui lie la matière et l’esprit… Ce suc est apparemment quelque chose qui tient des deux autres, puisqu’il leur sert de passage, comme les zoophytes, à ce qu’on prétend, sont le passage du règne végétal au règne animal ; mais, comme personne n’a jamais vu, du moins jusqu’à présent, cette substance médiatrice, nous prierons l’auteur de nous la faire voir, afin que nous n’en doutions pas. » Et comme Marat, discutant les argumens de certains médecins, établit que, bien que l’âme ne soit pas matérielle et n’occupe aucun lieu à la manière des corps, il ne s’ensuit pas cependant qu’elle n’ait aucun siège déterminé. « Non, monsieur ! s’écrie Voltaire ; mais il ne s’ensuit pas non plus qu’elle demeure dans les méninges, qui sont tapissées de quelques nerfs. Il vaut mieux avouer qu’on n’a pas vu encore son logis. » Toute la critique de l’ouvrage est sur ce ton fort vif, et Voltaire malmène fort le médecin du comte d’Artois. « M. Marat semble avoir calomnié la nature humaine plus qu’il ne l’a connue… Après avoir lu cette longue déclamation en trois volumes, qui nous annonce la connaissance parfaite de l’homme, je ne puis dire qu’une chose : c’est qu’il eût été plus sensé de s’en tenir à la description de l’homme, telle qu’on la voit dans le second et le troisième tome de l’Histoire naturelle. C’est là en effet qu’on apprend à se connaître, c’est là qu’on apprend à vivre et à mourir ; tout y est exposé avec vérité et avec sagesse, depuis la naissance jusqu’à la mort. » Voltaire, comme on voit, avait fait alors sa paix avec Buffon.

Nous avons passé successivement en revue les travaux et les opinions de Voltaire sur ce qui touche à la physique et aux sciences naturelles. Boileau objurgue avec raison les auteurs qui ont la fantaisie de

Peindre Caton galant et Brutus dameret.