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prétendait encore que l’ellipse de Kepler rend imparfaitement compte de la marche des planètes, et il essayait d’y substituer une courbe qui a pris le nom de cassinoïde. Dans l’ellipse, la somme des rayons vecteurs menés d’un point aux deux foyers est constante; dans la cassinoïde, c’est le produit des deux rayons qui est constant. Faire cette substitution dans la théorie des orbites planétaires, c’était neutraliser la synthèse de Newton. Les fils de Cassini, héritiers des traditions paternelles, niaient les principales conséquences que Newton avait tirées de la gravité universelle, l’aplatissement des pôles par exemple. Non-seulement les Cassini contestaient cet aplatissement, mais ils prétendaient que la terre était un sphéroïde allongé dans le sens des pôles, et les faits semblaient leur donner raison. La géométrie montre que dans un sphéroïde aplati la longueur des degrés va en augmentant à mesure qu’on avance de l’équateur vers les pôles. On avait mesuré plusieurs arcs de méridien dans les premières années du siècle, on avait fait notamment une mesure en France, entre les Pyrénées et Dunkerque, et l’on trouvait que les degrés étaient d’autant plus petits qu’on approchait plus du nord; on en concluait naturellement qu’on avait affaire à un sphéroïde allongé. C’était là une circonstance d’un grand poids et qui tenait à elle seule en échec les partisans de Newton. Cependant la mesure du méridien faite en France inspirait des doutes. En 1735, l’Académie des Sciences organisa une grande expédition pour étudier cette question tant controversée. Bouguer et La Condamine partirent pour le Pérou. Clairaut et Maupertuis allèrent en Laponie, accompagnés de Camus et de Lemonnier comme assistans. En mesurant un arc près de l’équateur, un autre près du pôle, et comparant les résultats ainsi obtenus aux mesures exécutées en France, on devait avoir tous les élémens nécessaires pour trancher le litige. Cette vérification solennelle donna raison à ceux qui tenaient pour l’aplatissement du sphéroïde terrestre. Les travaux des quatre associés ne purent être réunis et comparés que vers 1740, la mission du Pérou ayant été retardée par divers contre-temps; mais dès l’année 1736 Maupertuis revint, rapportant les mesures prises en Laponie, et dont la comparaison avec les mesures françaises suffisait à la rigueur pour décider la question. Les degrés voisins du pôle étaient décidément les plus longs. Maupertuis proclama ce résultat, en fit retentir tous les échos; dès l’année 1738, sans attendre le retour de Bouguer et de La Condamine, il publia un livre sur la Figure de la terre qui fut considéré comme décisif. Il usurpa ainsi auprès du public la gloire de l’œuvre commune. Les gravures du temps le représentent, en costume de Lapon, écrasant de sa main le pôle du monde, et Voltaire, dont il était alors l’ami.