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plaines, mais aussi dans les carrières les plus profondes et sur les montagnes les plus élevées. Il a reconnu que les couches de terrains sont ordinairement horizontales, qu’elles sont placées les unes sur les autres comme le seraient des matières transportées par les eaux et déposées en forme de sédiment. Tous ces faits étaient fort bien décrits par Woodward ; il est vrai qu’il y ajoutait une observation grossièrement erronée, mais qui cadrait avec sa théorie, en assurant que les couches étaient superposées dans l’ordre même de la densité de chacune d’elles ; c’était là une conséquence nécessaire dès que l’on admettait que toutes les matières avaient été précipitées dans l’espace d’un déluge de quarante jours.

Whiston avait de son côté publié un système complet[1] où il s’efforçait d’interpréter les phénomènes conformément aux récits bibliques de la création et du déluge. Whiston était un habile astronome et le propre successeur de Newton dans la chaire de mathématiques de Cambridge. Son opinion était donc faite pour compter dans le monde scientifique. La terre, avant les six jours, n’était qu’une comète, c’est-à-dire un astre inhabitable, errant à travers l’espace, souffrant alternativement de l’excès du froid et du chaud, et dans lequel les matières, tour à tour fondues et glacées, formaient un chaos enveloppé d’épaisses ténèbres : tenebrœ erant super faciem abyssi. Tout à coup la comète fut changée en planète, c’est-à-dire que son orbite excentrique fut changée en une ellipse presque circulaire ; chaque chose prit alors sa place, les corps s’arrangèrent suivant leur gravité spécifique ; la terre, qui occupait un grand espace à l’état de chaos, se réduisit en un globe de volume médiocre dont le noyau conserva la chaleur que le soleil lui avait communiquée quand elle pouvait s’en approcher sous forme de comète. Ce noyau était un fluide très dense sur lequel s’appuya la croûte terrestre comme du liège sur du vif-argent. Le contact n’était cependant pas direct entre le noyau et l’enveloppe ; entre l’un et l’autre s’était logée une immense quantité d’eau formant le grand abîme. En cet état, la terre était mille fois plus peuplée et plus fertile qu’elle ne l’est aujourd’hui, grâce à l’intensité de sa chaleur propre ; mais cette chaleur, en même temps qu’elle communiquait à la nature une grande puissance de production, alluma les passions des hommes au point de rendre leur destruction nécessaire. Le déluge fut résolu, et la queue d’une comète vint rencontrer notre globe. Par l’effet de l’attraction, les vapeurs aqueuses qui composaient cette queue se précipitèrent aussitôt sur la terre, sous la forme d’une pluie abondante, et ce sont là les cataractes du ciel qui s’ou-

  1. A new Theory of the earth, Londres 1708.