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nouveaux, on est facilement amené à leur donner une importance excessive et à en tirer ces conclusions exagérées qui se formulent en systèmes. Dans les sciences naturelles, Voltaire prend aux choses une part moins directe. En général il n’expérimente pas lui-même, il se contente de suivre les travaux des naturalistes, et il est plus facile de regarder froidement les conquêtes des autres que celles qu’on a faites soi-même. Voltaire d’ailleurs demande dans tous les sujets une clarté complète, il lui faut des vérités démontrées jusqu’à l’évidence. En physique, il a vu clairement les choses ; ce que l’on a fait soi-même est toujours clair. Dans les sciences naturelles, on ne lui présente la plupart du temps que des théories confuses ; il ne prend pas la peine d’y chercher les germes heureux qui peuvent s’y rencontrer, et il s’arme contre elles de toute sa verve. Débarrasser la science des erreurs qu’on y a accumulées, faire au moins le terrain net à défaut de constructions nouvelles, ramener les hommes aux faits simples et nus à défaut d’explications raisonnables, tel est le but qu’il se propose. C’est là, disons-nous, l’idée qui le guide d’ordinaire dans ses jugemens ; mais il y a des exceptions. En parcourant les Singularités de la nature et quelques opuscules complémentaires, nous trouverons des occasions où sa critique est moins négative, et où elle met en lumière des détails intéressans que l’avenir doit féconder. Gardons-nous donc d’une opinion trop absolue, et pour nous éclairer prenons l’un après l’autre les principaux problèmes qui se présentaient aux contemporains de Voltaire.

Voici d’abord les questions relatives à la formation de la terre, et ce que nous appelons maintenant les problèmes géologiques. Quelles étaient à cet égard les idées reçues ou du moins proposées dans la science ? En Angleterre, Burnet, Woodward, Whiston, avaient mis en avant des systèmes géogéniques dont Voltaire avait eu connaissance pendant son séjour à Londres. En France, de Maillet, puis Buffon, avaient fait chacun une théorie de la formation de la terre. Burnet, chapelain du roi Guillaume III, s’était préoccupé de faire un système qui ne fût pas en désaccord avec la genèse biblique. Suivant lui, la terre n’était d’abord qu’une masse fluide, un chaos composé de matières de toute espèce et de toute sorte de figures. À un certain moment, les parties les plus pesantes se réunirent au centre et y formèrent un noyau dur et solide ; les eaux, plus légères, se groupèrent au-dessus de ce noyau, et enfin l’air, s’échappant de cette enveloppe, constitua l’atmosphère. Cependant une couche de matières grasses et huileuses, moins denses que l’eau, surnagea d’abord au-dessus de l’enveloppe aqueuse et attira toutes les particules terreuses que l’atmosphère avait d’abord entraînées.