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rain, il deviendra nécessairement anti-dynastique. L’opposition, ne voyant d’issue que dans l’emploi de la force, l’esprit d’insurrection deviendra habituel. Au peuple le plus doux on donnera bientôt ainsi un tempérament révolutionnaire, car entre l’esprit révolutionnaire et l’esprit de servilité qui approuve et subit tout, il n’y aura point de milieu. A-t-on à se plaindre d’un agent de police ou d’un garde champêtre, on n’y verra de remède que dans le bouleversement de l’état. C’est une vérité connue depuis longtemps, que le moyen de faire durer la royauté est de limiter son pouvoir[1]. Le roi Léopold a pu laisser à son fils ses pouvoirs constitutionnels sans trouble ni contestation ; qui peut dire que l’autre système subirait aussi heureusement l’épreuve d’un changement de règne ?


V.

L’étude qu’on vient de lire suggère presque naturellement à l’esprit la question que voici : l’année 1830 a vu naître en France et en Belgique deux établissemens monarchiques dans des conditions à peu près pareilles ; pourquoi leur sort a-t-il été si différent, et comment la tempête qui renversait l’un a-t-elle raffermi l’autre ? S’il y avait quelque prééminence, elle était, semble-t-il, du côté du roi et du peuple français ; mais leurs avantages naturels étaient plus que compensés par leur mauvaise éducation politique. C’est un point qu’il peut être utile d’éclaircir. Louis-Philippe et la bourgeoisie française s’étaient formés sous l’influence de deux grands événemens : l’empire, qui ne leur avait pas appris à pratiquer la liberté, et la révolution, qui leur en avait laissé l’effroi. Nous avons vu quelles alarmes causait en 1846 au cabinet français la seule annonce de la réunion d’un congrès libéral à Bruxelles. Il n’y eut qu’un cri : c’est l’anarchie ; vite une armée pour l’étouffer dans son germe ! On s’aperçoit dans les lettres confidentielles à son gendre que les souvenirs de la révolution revenaient sans cesse à l’esprit de Louis-Philippe pour l’épouvanter et lui conseiller la résistance. Quand en 1840 il avait appelé M. Guizot en remplacement de M. Thiers, il se croyait à la veille d’une catastrophe, a Si ce ministère est renversé, écrivait-il à Léopold le 6 novembre, point d’illusions sur ce qui le remplace : c’est la guerre à tout prix, suivie d’un quatre-vingt-treize perfectionné. »

La bourgeoisie cédait à ces appréhensions plus encore que le roi. La révolution de juillet a laissé en vigueur les articles du code Napoléon qui punissaient comme un délit l’usage de la plupart des

  1. Plutarque rapporte que le roi de Sparte Théopompe répondit à sa femme, qui lui reprochait d’avoir amoindri le pouvoir royal : « Je le laisserai d’autant plus grand qu’il sera plus durable, » — « Et en effet, ajoute Plutarque, en lui ôtant ce qu’il avait de trop absolu, il le mit à l’abri de l’envie et des dangers qu’elle attire. »