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Il lisait beaucoup. Ses bibliothécaires lui soumettaient la liste des livres importans qui paraissaient dans les différentes langues qu’il connaissait, c’est-à-dire en français, en anglais, en allemand, en flamand, en espagnol, en italien et en russe. Aucune science ne lui était étrangère. La médecine, la botanique, l’astronomie, l’ont notamment occupé vers la fin de sa vie. Il avait toujours sur sa table un roman commencé, dont il poursuivait souvent la lecture pendant la nuit, afin de tromper ses insomnies. Il dînait ordinairement seul et tard, puis il se faisait exécuter par son pianiste ordinaire les œuvres des maîtres qu’il préférait, celles de Mozart et de Beethoven surtout. Comme la plupart des princes allemands, il n’aimait pas le luxe. L’ameublement des pièces qu’il occupait était de la plus extrême simplicité. Il avait emprunté aux hommes d’état anglais l’art de rester jeune. Il faisait chaque jour une promenade au grand air, et plusieurs fois par an il se rendait à son pavillon d’Ardenne pour y chasser à la traque, sans suite et à pied. Son seul but était d’entretenir par l’exercice la circulation du sang et la vigueur des muscles, et il n’a jamais voulu de ces coûteux équipages de chasse qu’on entretient ailleurs pour plaire à des courtisans et pour ressusciter l’ancien régime. Était-ce parcimonie ? Non, c’était sagesse appropriée à l’esprit de notre temps. Les notions économiques et les sentimens chrétiens se sont assez répandus pour faire paraître inique que des milliers de familles soient par l’impôt privées du nécessaire afin de donner le superflu à des chevaux, à des chiens et à des piqueurs. Cette pompe royale, qui jadis éblouissait le peuple, l’irrite aujourd’hui, et ce qui dans un siècle d’autorité formait comme une auréole, en un temps de démocratie scandalise comme un gaspillage. Le prestige qu’un souverain peut acquérir aux yeux du peuple est non plus maintenant en raison du faste qu’il déploie, mais en proportion des services qu’il rend.

L’air, les manières, la parole, tout en Léopold était d’un roi constitutionnel. Il était bon pour tous, affable avec ceux qui l’approchaient ; il n’était familier avec personne. Il avait cette dignité courtoise du grand seigneur bien élevé qui marque la distance sans froisser la vanité. Il était comme entouré d’une sorte d’atmosphère royale qui, mieux que l’étiquette, imposait la déférence. Le soin qu’il mettait à se modérer en tout lui donnait une imperturbable sérénité. Il n’était pas étranger à la colère, mais nul n’en a ressenti les effets. S’il avait ses préférences comme homme, jamais elles ne paraissent avoir influencé ses résolutions comme souverain ; il a vu se succéder au ministère des hommes de toute nuance et d’origine très diverse, et les nouveau-venus que le scrutin lui imposait étaient aussi bien accueillis que les anciens auxquels de longues relations l’avaient attaché.