Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait assuré le succès de la révolution de 1830 ne tardèrent pas à se séparer en deux camps opposés et nettement tranchés. Souvent on entend gémir sur cette division. Ces regrets sont puérils. Dans tout pays libre, tant qu’il y aura des diversités d’opinion, il y aura des partis. Ils sont le résultat et la preuve de la vie politique, exactement comme les sectes sont la preuve de la vie religieuse. Quand Bossuet reprochait à la réforme la multitude de sectes qu’elle avait enfantées, c’est à l’activité de la pensée humaine qu’il faisait le procès. Pour qu’il n’y ait plus ni partis ni sectes, il faut que les hommes en soient arrivés à confier à l’église ou au gouvernement le soin de penser et de vouloir pour eux, c’est-à-dire non à subir le despotisme, mais à l’accepter, à le bénir, à l’adorer. L’indifférence de l’âme et la torpeur de l’esprit expliquent seules une pareille abdication. L’existence des partis, loin d’être funeste à l’exercice du régime parlementaire, lui est indispensable. C’est une vérité qui ressort clairement de ce qui s’est passé en Belgique et en Hollande dans ces dernières années. Par ses traditions, par ses lumières, le peuple néerlandais est mieux préparé que le peuple belge au régime des assemblées délibérantes, et cependant cet ingénieux mécanisme marche moins bien chez lui qu’en Belgique. Les ministères se succèdent, la durée, la consistance, la force, leur font défaut ; à chaque instant, des conflits surgissent, des discussions s’éternisent pour des objets qui n’en sont pas dignes. D’où cela vient-il ? De ce que, les questions coloniales et les questions intérieures s’enchevêtrant, il ne peut se former deux partis nettement séparés et décidés à soutenir au pouvoir les hommes qui les représentent. Depuis qu’en Angleterre la division des partis en tories et whigs n’est plus qu’un souvenir historique, le gouvernement parlementaire a montré une semblable instabilité. Là au contraire où le ministère est appuyé sur une majorité fortement unie par une opinion commune, il peut gouverner avec vigueur, avec suite, avec efficacité. Il dure, et s’il tombe, ce n’est pas pour un objet indifférent, car il peut demander à ses adhérens, au nom de l’intérêt supérieur qu’il défend, le sacrifice des dissidences accessoires. Un homme d’état tel que Pitt exerce alors un pouvoir aussi grand, aussi durable qu’un Richelieu ou qu’un Metternich. Le succès du régime parlementaire est en raison de la franche opposition des partis et de l’importance de l’objet qui les divise. L’esprit de parti, qui n’est que le dévoûment à ses convictions, ne devient funeste que quand il va jusqu’à faire repousser une mesure utile au pays pour éviter de la devoir à des adversaires.

La conduite de Léopold envers les partis peut servir d’exemple aux rois constitutionnels. Jamais on n’a pu dire qu’il ait favorisé l’un