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Newton sans s’attacher d’ailleurs à cette vue. Voltaire au contraire s’enflamme à cette idée, et s’ingénie à expliquer toutes les lois de la lumière par l’action attractive des milieux qu’elle traverse. Ainsi, quand un rayon lumineux tombe d’une substance plus légère, comme l’air, dans une substance plus dense, comme l’eau, s’il se brise en se rapprochant de la perpendiculaire, c’est que la matière de l’eau l’attire dans ce sens. Il y a plus. Voltaire montre que la lumière peut être attirée, déviée de sa route, par un milieu dans lequel elle ne pénètre pas; il suffit que le rayon passe dans le voisinage de l’arête d’un prisme pour qu’il s’infléchisse par attraction. C’est à cet ordre d’idées que se rapporte une expérience que Voltaire avait organisée dans la chambre obscure de sa galerie de Cirey, et dont il aimait à donner le spectacle à ses visiteurs. Cette expérience est basée sur ce que nous appelons maintenant la réflexion totale. Si l’on place un prisme de verre de façon qu’une des faces soit horizontale et qu’on reçoive un rayon lumineux sur un des autres côtés, sous un angle invariable, une partie du rayon réfracté dans le prisme se réfléchit sur la face horizontale, et vient ressortir par le troisième côté; cette portion de rayon qui suit ainsi une sorte de ligne courbe dans le cristal varie avec l’angle d’incidence; le maximum a lieu pour une incidence donnée. Voltaire supposa, d’après des indications de Newton, que, si on pouvait enlever l’air de dessous la face horizontale du prisme, le rayon en viendrait à se réfléchir entièrement, et que toute la lumière ressortirait ainsi par le prisme même. « J’en ai fait l’expérience, dit-il. Je fis enchâsser un excellent prisme dans le milieu d’une platine de cuivre; j’appliquai cette platine au haut d’un récipient ouvert posé sur la machine pneumatique; je fis porter la machine dans ma chambre obscure. Là, recevant la lumière par un trou sur le prisme et la faisant tomber à l’angle requis, je pompai l’air très longtemps : ceux qui étaient présens virent qu’à mesure qu’on pompait l’air, il passait moins de lumière dans le récipient, et qu’enfin il n’en passa presque plus du tout. C’était un spectacle très agréable de voir cette lumière se réfléchir par le prisme tout entière au plancher. » Voltaire explique ce phénomène par l’attraction que la substance du verre exerce sur le rayon lumineux, et qui n’est plus contre-balancée par rien dès que l’air a été enlevé sous le prisme. Cette explication est plus qu’arbitraire, et Voltaire montre ici trop d’enthousiasme pour l’attraction; mais du moins nous le voyons dès maintenant, comme nous le verrons mieux tout à l’heure, jaloux de faire lui-même des expériences et de mesurer les phénomènes avec des instrumens précis.

Aussi bien c’est l’exposé complet de cette grande découverte de l’attraction universelle qui constitue, à vrai dire, le principal titre