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le point de départ. C’est, à notre avis, un des principaux mérites des livres de science populaire, qu’ils procurent aux savans de profession une foule d’auxiliaires obscurs et ignorés, mais qui n’en ont pas moins leur part dans les conquêtes de leur époque. Aussi est-ce avec une grande satisfaction que nous constatons le succès toujours croissant de ces sortes d’ouvrages, et la tendance des vrais savans à se mêler aux écrivains qui s’adressent au public. Chaque année nous apporte quelques bons livres de science qui sont lisibles et même récréatifs, et que nous avons plaisir à signaler.

M. Elisée Reclus a terminé son intéressant ouvrage sur la physique du globe, la Terre, dont le premier volume avait paru en 1867[1]. Le second et dernier volume est consacré à la description des phénomènes que nous offrent la mer et l’atmosphère; c’est le résumé fidèle de tout ce que la science de nos jours peut nous apprendre sur les mystères des deux océans, l’un liquide, l’autre aérien, qui enveloppent notre planète. Ce qui assigne à cet ouvrage une place à part dans les publications de science populaire, ce qui le met au-dessus du niveau ordinaire, c’est la quantité de documens particuliers et peu connus que l’auteur a consultés et utilisés. M. Reclus n’a pas pris sa science toute faite dans les traités qui existent, il s’est adressé aux mémoires originaux publiés dans toutes les langues, il a fait œuvre de critique et de savant. Aussi peut-on recommander son livre comme une source d’instruction sérieuse et solide.

Le rôle immense que les eaux de la mer jouent dans l’économie générale du globe n’a encore été étudié que depuis peu de temps et d’une manière fort incomplète. Non-seulement les continens actuels se sont élaborés au fond d’un ancien océan, comme le prouve avec évidence la composition des couches terrestres, mais les eaux continuent encore de nos jours le lent travail par lequel elles transforment peu à peu la surface des terres. D’un côté, les flots sapent, creusent et emportent des péninsules et des falaises escarpées; de l’autre, ils construisent des plages et des îles. Sous l’action incessante des vagues, les promontoires de granit se désagrègent et se changent en strates de gneiss; l’argile qui provient de la dissolution des porphyres se transforme sous nos yeux en ardoise dont les feuillets durcissent et prennent l’aspect des schistes anciens. Enfin les travaux géologiques de certaines espèces animales dont la mer pullule nous apparaissent sous un jour tout nouveau depuis les recherches d’Ehrenberg, de Darwin et de tant d’autres naturalistes qui ont envisagé la vie animale dans ses effets généraux et dans ses rapports avec l’économie du globe. Les bestioles qui habitent la mer modifient la face de la planète par l’accumulation de leurs débris. Comme les plantes des marais finissent par s’étendre en couches de tourbe sur les plaines et sur les flancs des montagnes, les myriades d’animalcules que recèle l’océan

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1867.