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vont un certain temps dans une correspondance parfaite : l’une montre les heures, l’autre sonne. L’horloge qui montre l’heure ne la montre pas parce que l’autre sonne; mais Dieu a établi leur mouvement de façon que l’aiguille et la sonnerie se rapportent continuellement. Ainsi l’âme de Virgile produisait l’Enéide, et sa main écrivait l’Enéide sans que cette main obéit en aucune façon à l’intention de l’auteur; mais Dieu avait réglé de tout temps que l’âme de Virgile ferait des vers et qu’une main attachée au corps de Virgile les mettrait par écrit. » Newton et Clarke, en entendant parler d’une telle opinion, jetèrent les hauts cris; ils ne s’étaient point fait d’ailleurs de système sur la manière dont l’âme est unie au corps, et ils s’en tenaient à peu près aux sages hésitations de Locke, tt Si l’on veut savoir, dit Voltaire, ce que Newton pensait sur Lame et sur la manière dont elle opère, et quel sentiment il embrassait parmi ceux qui ont été émis à cet égard, je répondrai qu’il n’en suivait aucun. Que savait donc sur cette matière celui qui avait soumis l’infini au calcul et qui avait découvert les lois de la pesanteur? Il savait douter. »

Quant à la nature de la matière, Leibniz avait essayé de l’expliquer au moyen des monades. Tout corps, disait-il, est composé de parties étendues; mais les parties étendues, de quoi sont-elles composées? Quelle est leur raison suffisante? Chercher dans l’étendue la raison suffisante de l’étendue, ce serait faire un cercle vicieux; il faut donc trouver la raison, la cause des êtres étendus dans des êtres qui ne le sont pas, dans des êtres simples, dans des monades; la matière n’est ainsi qu’un assemblage de monades. Était-il bien facile de comprendre comment un composé n’a rien de semblable à ce qui le compose ? Leibniz se comprenait-il lui-même quand il produisait ce système? Ce qui est certain, c’est que ni les Anglais ni Voltaire ne le prirent au sérieux. Newton, sans prétendre à connaître l’essence de la matière, prenait pour base de ses calculs l’existence d’atomes à peu près semblables à ceux qu’admettent les chimistes de nos jours. Il s’en tenait à la conception des quatre élémens, — air, eau, terre et feu, — qui était celle de la physique de l’époque; mais il inclinait pourtant à penser qu’il y a une matière unique, uniforme, qui par des arrangemens divers produit tous les corps. Cette vue le conduisait à admettre la transmutabilité des élémens. Une expérience autrefois célèbre et due à l’illustre Robert Boyle, le fondateur de la physique en Angleterre, avait beaucoup contribué à confirmer Newton dans cette dernière pensée. En chauffant de l’eau distillée dans un vase de verre hermétiquement clos, Boyle finissait par trouver une poudre fine qu’il regardait comme de l’eau changée en terre. Newton avait pu vérifier cette expérience; il en