Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont les échiures, dont les appendices antérieurs sont disposés par paires comme chez les annelés, tandis que les postérieurs divergent autour du corps comme chez les rayonnés. Tels sont encore le lépidosyren, qui tient du reptile et du poisson, l’ornithorhynque, qui, véritable mammifère, touche à la fois aux oiseaux et aux reptiles par son organisation. Pour Darwin, ce sont là autant de représentans peu modifiés des anciennes souches-mères ; ils montrent ce qui existait avant que les rayonnés et les annelés, les poissons et les reptiles, les oiseaux et les mammifères, eussent été définitivement séparés grâce à la loi de divergence. Les types de transition seraient donc plus anciens à la surface du globe qu’aucun de ceux qu’ils relient à titre d’intermédiaires. Ici la théorie n’explique pas seulement des faits difficiles à interpréter, elle détermine en outre l’époque relative où ils ont dû apparaître.

La morphologie générale et l’anatomie philosophique présentent souvent avec la doctrine de Darwin un accord non moins saisissant. Chacun sait que les membres antérieurs de l’homme, du lion, du cheval, de la chauve-souris, sont composés d’élémens identiques au fond. Les invertébrés présentent des faits encore plus frappans peut-être. Dans la trompe si longue et si flexible du papillon, on retrouve les pièces qui composent la courte et robuste armature de la bouche chez les coléoptères. Tous ces faits ne sont au reste que des applications particulières d’une loi générale, de la loi d’économie, si bien mise en lumière par M. Edwards. Lorsque, partant des types inférieurs, on étudie comparativement des organismes de plus en plus élevés, on ne les voit jamais se perfectionner brusquement. Surtout, même alors que les fonctions augmentent en nombre, les instrumens anatomiques chargés d’y subvenir ne présentent pas pour cela d’emblée une multiplication correspondante. Il semble que, peu impérieux au début, chaque besoin physiologique nouveau peut être satisfait par la simple adaptation d’un organe déjà existant. Parfois les fonctions les plus générales, les plus nécessaires à l’entretien de la vie, s’accomplissent de cette manière. La respiration se fait longtemps par la peau seule ; elle se localise ensuite sur quelques parties de l’enveloppe générale, sur certains points des organes locomoteurs, jusque dans la partie postérieure du tube digestif, bien avant que n’apparaissent des organes respiratoires proprement dits, branchies, poumons ou trachées. De là vient précisément cette gradation, cette progression des êtres qui conduit par degrés du plus simple au plus composé, et qui a donné naissance à l’aphorisme : natura non facit saltum. Qui ne voit que cette adaptation d’un même organe à l’accomplissement de fonctions diverses, la lenteur avec laquelle apparaissent les organes nouveaux, l’économie qui semble présider sans cesse à la constitu-