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ractérisation maintiendra des rapports fondamentaux entre les genres et les familles qu’elles engendreront à leur tour, et quand leurs descendans auront repeuplé le globe, ils porteront encore dans leurs traits caractéristiques le cachet de cette origine commune.

Ces modifications de toute sorte, ces migrations en tout sens, s’accomplissaient, selon Darwin, pendant que le globe lui-même subissait les révolutions dont sa croûte solide a conservé les traces et passait par diverses alternatives de climat. Le monde organique recevait évidemment le contre-coup des événemens géologiques, et son évolution régulière en était inévitablement troublée. Un continent effondré laissait isolées l’une de l’autre deux faunes jusque-là en contact ; un confinent soulevé pouvait être peuplé à la fois de différens côtés et recevoir ainsi des représentans de faunes précédemment bien distinctes ; une période glaciaire amenait au cœur de régions naturellement tempérées ou même chaudes des espèces des pays froids qui plus tard pouvaient se séparer, les unes se retirant sur le sommet des montagnes, les autres fuyant vers le pôle quand la température se réchauffait de nouveau. L’état présent n’est que la résultante de tout ce passé si complexe. Cette conséquence de la doctrine darwinienne n’est pas une des moins frappantes. L’imagination est vivement frappée par ce tableau de la continuité et de la corrélation des phénomènes, par cette solidarité des premiers débuts et de ce qui pour nous est la fin des choses, par cette étroite connexion du globe et des êtres vivans qu’il nourrit. Ajoutons que la distribution des faunes et des flores semble encore ici confirmer la théorie par certains faits généraux. Telle est en particulier la différence parfois très grande que présentent les productions de contrées offrant d’ailleurs des conditions d’existence identiques. Les lois de l’hérédité comprises à la façon de Darwin, les grandes migrations accomplies sous la condition de la lutte pour l’existence et de la sélection naturelle, expliquent ce fait très naturellement. Telle est encore l’influence des barrières naturelles arrêtant les migrations ou forçant à d’immenses détours les espèces envahissantes, qui se modifient en route, et s’écartent d’autant plus de la forme originelle que le voyage est plus long.

De cet ensemble de causes et d’effets jouant à leur tour le rôle de causes résulterait très naturellement l’un des traits les plus saillans de la distribution des êtres, je veux parler de ces grandes aires botaniques ou zoologiques nommées par la plupart des naturalistes centres de création. Darwin a désigné par cette expression le lieu d’origine de chaque espèce. Il a montré que sa théorie conduit à regarder chacune d’elles comme ayant été d’abord cantonnée et n’ayant pu s’étendre que par voie de migration. Or, les genres ayant pris naissance comme les espèces, l’aire occupée par chacun