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duisante pour les esprits les plus positifs, grâce à la solidité des bases sur lesquelles elle semble reposer.

La sélection naturelle ou artificielle développe les caractères, elle ne les fait pas naître. Quelle est donc la cause de ces traits individuels, parfois d’abord très peu marqués, mais qui, s’accusant davantage de génération en génération, finissent par distinguer nettement le petit-fils de l’ancêtre ? D’où proviennent surtout ces brusques écarts que Darwin me semble avoir un peu négligés, qui tout à coup, sans cause appréciable, donnent à des parens des fils qui ne leur ressemblent pas, et qui transmettent à leur descendance leurs caractères exceptionnels ? En d’autres termes, quelle est la cause immédiate des déviations premières dans un type spécifique donné ? Comme les naturalistes et les penseurs de tous les temps, Darwin s’est posé cette question ; avec ses devanciers les plus célèbres, il n’a pas hésité à reconnaître combien elle est encore obscure pour nous. Néanmoins il a cru pouvoir attribuer une influence sérieuse et dans la plupart des cas prépondérante à une altération plus ou moins profonde des fonctions dans les appareils reproducteurs eux-mêmes. À ce point de vue, la modification subie par le descendant ne ferait qu’accuser et traduire le trouble anatomique et fonctionnel préexistant chez ses père et mère. J’aurai plus tard à discuter cette opinion, comme aussi à montrer que Darwin a fait une trop faible part à l’influence des agens physiques, aux réactions de l’organisme. Il n’indique pas même ces dernières, et semble parfois refuser aux premières toute puissance d’adaptation. Or il sera facile de montrer au contraire que, dans certains cas où nous pouvons suivre la filiation et les effets des causes immédiates, ces actions et réactions exercent une influence évidente, et ont précisément pour résultat de mettre l’être transformé en harmonie avec le milieu qui lui a imposé des conditions d’existence nouvelles.

Comme Lamarck, Darwin voit dans l’usage habituel et dans le défaut d’exercice des organes deux puissantes causes de variation. Il insiste principalement sur la dernière, et explique par le concours de l’inertie fonctionnelle et de la sélection la disparition plus ou moins complète des ailes chez certains insectes, celle des yeux chez quelques animaux de diverses classes. Il ne va pas ici au-delà du savant français, et emploie même ordinairement comme lui le mot « d’habitude ; » mais il redevient lui-même lorsqu’il appelle l’attention du lecteur sur les « corrélations de croissance. » Par cette expression, il désigne ce fait fort curieux, que certaines modifications réalisées dans un appareil ou un organe entraînent à peu près constamment des changemens plus ou moins sensibles dans d’autres appareils, dans d’autres organes sans relation apparente avec les premiers. Il a vérifié expérimentalement un cer-