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distincte de la souche originelle. Cette sélection inconsciente, comme la nomme Darwin, joue encore aujourd’hui, mais a surtout joué jadis un rôle des plus actifs dans la multiplication des types dérivés. Bien tard seulement et presque de nos jours, au moins en Europe, des savans, des éleveurs, ont mis à profit les enseignemens ressortant d’une expérience séculaire. Les Daubenton, les Bakewell, les Collins, les sir John Sebright, se sont proposé des buts bien définis et ont établi pour les atteindre des règles dont une expérience journalière atteste l’exactitude. Nos expositions agricoles témoignent chaque année des prodiges réalisés par cette sélection consciente, raisonnée, et nous pouvons dire avec Yonatt que, grâce à elle, « l’homme appelle à la vie quelque forme qu’il lui plaise. »

La réalisation artificielle de ces formes dans nos races domestiques nous éclaire-t-elle sur l’origine des espèces, c’est-à-dire sur les causes qui ont donné aux animaux, aux végétaux sauvages, les caractères qui les distinguent ? Oui, répond Darwin. Si l’espèce varie entre nos mains, c’est uniquement parce qu’elle est fondamentalement variable. Or les forces naturelles peuvent et doivent, dans des circonstances données, remplacer l’action de l’homme et produire des résultats analogues. Le temps aidant, ces résultats doivent devenir même plus marqués. Voilà comment ont pris naissance les espèces présentes. Les animaux, les végétaux que nous connaissons, ne sont que les dérivés d’êtres qui les ont précédés et qui ne leur ressemblaient pas. Des phénomènes de transformation s’accomplissent journellement sous nos yeux ; nous en trouvons la preuve dans ces variétés, dans ces espèces douteuses, causes de tant d’incertitudes pour les naturalistes. « Toute variété bien tranchée doit être considérée comme une espèce naissante, » et, pour l’ébaucher et la parachever, la nature emploie le même procédé que l’homme, — la sélection. — Ici nous touchons au vif de la doctrine de Darwin, à ce qui lui appartient le plus exclusivement en propre. Dans les faits invoqués par l’auteur anglais, dans la manière dont il est conduit à considérer les variétés et les races naturelles, nous retrouvons, il est vrai, le langage de Lamarck et de bien d’autres. Dans le rôle attribué à la sélection naturelle reparaît une pensée très nettement formulée par M. Naudin ; mais celui-ci, nous l’avons vu, s’était borné à une indication générale. Darwin au contraire a envisagé la question sous toutes ses faces ; il a montré les causes et les résultats de cette sélection, il a étayé sa solution de preuves nombreuses empruntées à des faits précis. Les droits de M. Wallace mis à part, — et Darwin est le premier à faire cette réserve, — c’est à juste titre que la théorie de la sélection naturelle doit être considérée comme lui appartenant en entier.

Cette théorie repose sur un fait très général, très frappant, mais