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s’écria Napoléon, quand il aperçut l’évêque. » Il était six heures de l’après-midi; le couple impérial était en route depuis le matin, et M. de Bois-Chollet, toujours confiant dans son innocence, ne douta pas qu’il ne dût attribuer son petit déboire à la seule fatigue des voyageurs. Il se crut complètement dédommagé lorsque le soir même on vint lui annoncer qu’il eût à se rendre le lendemain de bonne heure à Alençon avec tout son clergé.

On touchait aux fêtes de la Pentecôte. M. de Bois-Chollet s’imagina qu’il était appelé au chef-lieu du département afin d’y célébrer avec plus de pompe l’office divin en présence de l’empereur et de l’impératrice. L’illusion ne fut pas longue. Napoléon, après avoir reçu à son lever le prince Eugène et le grand-duc de Wurtzbourg, fit entrer M. de Bois-Chollet, et voici le dialogue qui s’établit entre eux, et que rapporte en entier M. Rœderer, présent de sa personne à l’entrevue. « Vous êtes l’évêque de Séez? — Oui, sire. — Je suis très mécontent de vous. Vous êtes le seul évêque sur qui j’aie reçu des plaintes. Vous entretenez ici des divisions. Au lieu de fondre les partis, vous distinguez encore entre les constitutionnels et les inconstitutionnels. Il n’y a plus que vous en France qui se conduise ainsi. Vous voulez la guerre civile. Vous l’avez déjà faite; vous avez trempé vos mains dans le sang français. Je vous ai pardonné, et vous ne pardonnez pas aux autres, misérable! Votre diocèse est le seul en désordre. — Sire, tout y est très bien. — Vous avez fait une circulaire très mauvaise. — Je l’ai changée. — Je vous ai fait venir à Paris pour vous montrer mon mécontentement, et rien ne vous corrige. Vous êtes un mauvais sujet ! Donnez votre démission sur l’heure. — Sire... — Qu’on mette tout de suite la main sur les papiers de ses secrétaires, » dit l’empereur en se retournant vers le préfet. L’évêque sortit alors, et le préfet avec lui. Napoléon était fort ému; il congédia les personnes du lever sans parler à aucune d’elles, et tout le monde se retira[1].

Quelques heures après, l’empereur faisait appeler dans son cabinet les grands-vicaires et les chanoines du chapitre de Séez. Ces messieurs trouvèrent en entrant Napoléon les genoux appuyés sur une chaise dont il tenait le dossier entre ses mains, ce qui était chez lui une attitude assez habituelle. Ils s’apprêtaient à intercéder humblement en faveur de leur évêque disgracié, lorsque l’empereur entama derechef devant eux l’une de ces scènes à la fois préméditées et violentes dans lesquelles il paraissait se complaire plus que jamais, et dont les détails, restés longtemps gravés dans la mémoire des prêtres de ce diocèse qui en furent les témoins conster-

  1. Œuvres complètes du comte Rœderer, t. III, p. 567.