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de ses couches récentes, qui avaient été assez pénibles. Jamais les voyages de l’empereur n’avaient été de pur agrément. Il avait cette fois donné rendez-vous à Alençon au sénateur Rœderer, qui avait ces provinces sous sa surveillance spéciale. Suivant son usage, Napoléon se mit à son débotté à presser M. Rœderer de questions sur l’esprit des populations au milieu desquelles il se trouvait en ce moment, sur le mérite des divers fonctionnaires publics et sur les dispositions politiques des principaux personnages du pays. Dans les circonstances présentes, ce qui regardait le clergé du département ne pouvait être oublié. L’empereur y arriva tout de suite. « Qu’est-ce que l’évêque ? demanda-t-il à M. Rœderer. — Sire, c’est un Breton qui était autrefois grand-vicaire à Nantes. — J’avais cru que c’était un Allemand. Est-il bon ? — Il est peu aimé. — Pourquoi ? — À cause de son intolérance, parce qu’il a outré les mauvais traitemens à l’égard des prêtres assermentés. — Il est donc obstacle ? — Je le crois en effet plutôt obstacle que secours[1]. » La vérité est que M. de Chevigné de Bois-Chollet, alors âgé de soixante-cinq ans, nommé en 1802 à l’évêché de Séez sur la recommandation de l’abbé Bernier, était un ancien royaliste qui avait jadis contribué de tous ses efforts, avec l’ancien curé de Saint-Laud, à la pacification de la Vendée. Quoique sincèrement rattaché au nouveau gouvernement, il avait conservé une certaine franchise d’allure et de langage qui l’avait, malheureusement pour lui, mis assez mal avec le préfet du département et le maire de la ville de Séez ; c’étaient eux qui l’avaient dénoncé à M. Rœderer. Parmi les griefs mis en avant par le préfet et le maire contre l’évêque, les plus graves paraissent avoir été : 1o  une circulaire qu’il avait eu le dessein d’adresser à ses curés de campagne pour les engager à chanter les vêpres dans leur église aux jours des fêtes religieuses supprimées par l’empereur ; 2o  son absence trop fréquente aux mariages des rosières, protégées par le maire de Séez, qui épousaient des officiers retraités de l’armée. La punition méritée pour de si grands méfaits ne devait point se faire longtemps attendre. Au 31 mai 1811, lorsque Napoléon, dans une de ses excursions, passa par Séez, M. de Bois-Chollet, qui ne se savait pas si coupable, qui avait ouï parler avec éloges de la piété héréditaire de la fille des empereurs d’Allemagne, s’était flatté qu’en traversant la ville avec son époux Marie-Louise voudrait bien lui faire l’honneur de visiter la cathédrale. Il avait tout préparé en conséquence, et se tenait en habits épiscopaux sur les marches de son église, afin de rendre le plus d’honneurs possible aux illustres visiteurs. « Touche, cocher,

  1. Œuvres complètes du comte Rœderer, t. III, p. 566.