Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la plantation des jardins, installant les écuries. C’est ainsi qu’il organisa cette résidence de Cirey, où, sauf quelques excursions à Paris et en Hollande, une visite au prince royal de Prusse et quelques séjours à la cour du roi Stanislas, il demeura jusqu’en 1749.

Comme les années passées à Cirey sont celles qui marquent le plus dans la carrière scientifique de Voltaire, comme nous nous proposons d’examiner avec quelques développemens les divers travaux qu’il y produisit, on nous pardonnera de donner avant tout, pour n’y plus revenir, quelques indications sur les lieux mêmes, sur les hôtes du château, sur la vie qu’on y menait. On aura ainsi le cadre où se place plus particulièrement la figure de Voltaire physicien. Cette retraite de Cirey, où l’auteur de la Henriade et son amie passèrent près de quinze années, était devenue pour les beaux esprits du temps un objet de curiosité, et plusieurs séries de mémoires nous en ont transmis la description détaillée. Mme de Grafigny, l’auteur des Lettres d’une Péruvienne, qui fut quelque temps l’hôtesse de Cirey, nous en fait connaître l’intérieur par le menu. Voltaire occupait une petite aile adossée au principal corps de bâtiment. Voici d’abord une petite antichambre « grande comme la main; » vient ensuite la chambre, qui est petite, basse, tendue de velours cramoisi : — des glaces, des encoignures de laque admirables, peu de tapisseries, mais beaucoup de lambris dans lesquels sont encadrés des tableaux charmans. La pièce principale de l’appartement était une galerie longue de quarante pieds environ, et qui acquit une sorte de célébrité historique; elle nous touche en tout cas, car c’était, à proprement parler, le laboratoire de physique de Voltaire. La galerie donnait sur les jardins par une porte formant grotte à l’extérieur. Sur le panneau opposé se dressaient d’une part une bibliothèque et de l’autre une vaste vitrine pleine d’instrumens de physique, entre les deux une grande statue de l’Amour lançant une flèche et dont le piédestal portait ce distique :

Qui que tu sois, voici ton maître;
Il l’est, le fut ou le doit être.


C’était comme un madrigal permanent à l’adresse de la maîtresse de la maison. Enfin à l’extrémité de la galerie se trouvait une chambre obscure pour les expériences d’optique. Quant à l’appartement de la marquise, nous pourrions le décrire aussi, et l’on verrait qu’il était du dernier galant : la chambre était boisée en vernis du Japon et tendue de moire bleue, le boudoir garni de panneaux peints par Watteau; c’étaient les cinq sens et les trois grâces, puis deux contes de La Fontaine, le Baiser pris et rendu