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Voltaire, devint pour lui un puissant motif de cultiver les sciences. La marquise, au moins dans le commencement de leur liaison, ne laissait pas d’exercer sur lui un grand ascendant. Passionnée pour la géométrie et la physique, elle entraînait Voltaire à sa suite: c’est pendant les années de leur séjour commun à Cirey que Voltaire s’initia réellement au mouvement scientifique de son temps et produisit même, comme nous le verrons, quelques travaux originaux. Ce ne fut pas cependant Newton qui servit à rapprocher la marquise et Voltaire. Le poète avait connu autrefois Mlle de Breteuil avant son mariage avec le marquis du Châtelet-Laumont. Quand il revint d’Angleterre, il avait trente-neuf ans et la marquise en avait vingt-sept; il paraît bien qu’elle fit les premiers pas et qu’elle eut la plus grande part dans les incidens qui les attachèrent l’un à l’autre. Voltaire s’était installé rue de Long-Pont, en face de l’église Saint-Gervais, et avait repris à Paris sa vie laborieuse. Mme du Châtelet était liée alors avec la duchesse de Saint-Pierre, qui avait pour amant le duc de Forcalquier. Les deux jeunes femmes se faisaient accompagner par le duc et venaient relancer le poète dans son logis; on saccageait ses alexandrins, on mettait en déroute ses notes historiques, et on faisait des collations au vin de Champagne. Bientôt recommencent pour Voltaire les inquiétudes, les persécutions. Les Lettres sur les Anglais, qui avaient touché à tant de sujets politiques et philosophiques, offraient assez de prise à ses ennemis pour lui susciter de sérieux embarras. Il avait pour un temps conjuré le danger en s’engageant envers le cardinal de Fleury et le garde des sceaux à ne pas publier ces lettres en France; mais on en faisait des éditions en Hollande, on en faisait même à Rouen et ailleurs sous la rubrique d’Amsterdam. En vain Voltaire cherchait à dégager sa responsabilité, tonnait contre les libraires; on le soupçonnait, on l’accusait d’une secrète connivence avec eux, si bien que les Lettres furent enfin condamnées par un arrêt de la grand’chambre du parlement et brûlées au pied du grand escalier du palais. Pendant ces démêlés, Voltaire avait cru devoir se retirer en lieu sûr. Le marquis du Châtelet, un mari des moins gênans, un vrai mari de la régence, lui offrit un asile en Champagne au château de Cirey, près de Chaumont; c’était une retraite commode, à deux pas de la frontière de Lorraine, et d’où l’on pouvait fuir à la première alerte. Voltaire courut s’y cacher, et Mme du Châtelet vint l’y rejoindre. Cirey était fort délabré. Il fallut d’abord le rendre habitable. Voilà Voltaire changé en architecte, faisant construire des corps de bâtimens, mettant des cheminées où il y avait des escaliers et des escaliers à la place des cheminées, faisant peindre, lambrisser, vernisser, dorer les murs, présidant à