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influences les faits ont été constatés et les jugemens rendus, je m’en rapporte à l’homme qui commence son récit par ces paroles : « Arrivé en Serbie peu de temps après cet événement, je me suia efforcé de pénétrer les causes qui l’ont produit, les circonstances qui l’ont accompagné, » et qui le termine par ce loyal défi : « Les faits que je viens de raconter avec la plus scrupuleuse exactitude ont eu beaucoup de témoins ; quelques-uns vivent encore et sont aux affaires sous le gouvernement du fils de Kara-George. Je ne redoute pas qu’aucun d’eux puisse me démentir. » Ainsi parlait le Dr  Cunibert en 1855, alors que le prince Alexandre Kara-Georgevitch occupait le trône de Serbie[1].

Voici les faits en quelques mots. Le duel politique engagé dès les premiers mois de l’année 1816 entre Milosch et Maraschli se poursuivait au milieu d’une certaine agitation. Maraschli ne manquait aucune occasion de serrer le frein des raïas, en évitant toutefois de les faire cabrer ; Milosch entretenait l’esprit public, tout en exhortant ses frères à la patience. Maraschli voulait humilier les Serbes paf mille mesures de détail et peu à peu les ramener à leur ancienne condition ; Milosch arrêtait le pacha pied à pied, ou bien, opposant la ruse à la ruse, il le dénonçait à Constantinople. Plus d’une fois des Serbes accusés de révolte et jugés par les autorités musulmanes en violation des traités avaient été décapités dans la forteresse de Belgrade. Milosch se contenta d’envoyer des députés au divan pour faire renouveler avec plus de précision les engagemens de la Porte. On ne pouvait se. montrer ni plus doux, ni plus opiniâtre. Toute l’année 1816 se passa au milieu de ces conflits, chacun des adversaires épiant l’heure de se démasquer tout à fait. Une fausse démarche, un mouvement trop prompt en de telles circonstances, c’était la ruine de Milosch et de son peuple. Or au printemps de 1817 on apprend tout à coup que le fugitif de 1813, Kara-George, vient d’arriver en Serbie. C’était le moment où se formaient d’un bout à l’autre de l’empire ottoman ces hétairies d’où allait sortir la révolution grecque. Les chefs du mouvement avaient décidé que le premier signal serait donné par les Serbes, et que toutes les populations chrétiennes se lèveraient aussitôt. L’un d’eux, Georgakis, était allé trouver Kara-George en Bessarabie pour lui offrir le commandement de l’insurrection. L’espoir de prendre une

  1. Essai historique sur les révolutions et l’indépendance de la Serbie, par le docteur Barthélemy-Sylvestre Cunibert, ancien médecin en chef au service du gouvernement serbe, 2 vol., Leipzig 1855. — M. Gervinus, si malveillant pour les Serbes, si injuste pour Milosch, a pourtant adopté le récit du docteur Cunibert en ce qui concerne le meurtre de Kara-George. Voyez dans son Histoire du dix-neuvième siècle les deux volumes intitulés Insurrection, et Régénération de la Grèce. Une traduction française faite avec beaucoup de soin a été publiée par MM. J. F. Minnsen et Léonidas Sgouta ; 2 vol., Paris 1863.