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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


tions singulières, l’archevêque Mélentie et le voïvode Pierre Moller. Pierre Moller était brave, hardi, intelligent ; il savait lire et écrire, chose rare à cette date chez les hommes de son pays, et n’avait pas besoin, comme Milosch, d’avoir toujours un secrétaire à ses côtés. En outre il parlait le turc comme le serbe ; sans secrétaire, sans interprète, il avait en plus d’une circonstance conduit à bien des négociations difficiles. Milosch lui-même, frappé de son mérite, lui avait fait attribuer la présidence de la chancellerie serbe à Belgrade. L’archevêque Mélentie ne se recommandait guère que par ta dignité sacerdotale : débauché, cupide, sournois, lâchement et vulgairement ambitieux, il avait conçu l’étrange idée de transformer un jour la Serbie en une sorte -de principauté ecclésiastique comme celle du vladika de Montenegro. L’archevêque et le président de la chancellerie serbe, chacun de son côté, s’étaient déjà ménagé des intelligences auprès de Maraschli-Ali ; l’un et l’autre avaient laissé entrevoir qu’ils pourraient faire ce que refusait Milosch. Il s’en fallait bien toutefois que leurs chances fussent les mêmes, bien qu’ils eussent les mêmes visées. Si Milosch avait disparu de la scène, Pierre Moller aurait immédiatement pris sa place, tant les services qu’il avait rendus, les qualités dont il faisait preuve, le désignaient avant tous les autres chefs à la confiance du peuple serbe. L’archevêque, qui connaissait l’infériorité de ses titres, résolut d’écarter à la fois et Milosch et Moller en les perdant l’un par l’autre. Averti des menées de Pierre Moller auprès du pacha de Belgrade, il en fournit les preuves à Milosch, sans cesser pour cela de poursuivre ses propres intrigues. La punition de Moller ne se fit pas attendre ; à la skouptchina du printemps de 1816, tous les knèzes étant réunis, Milosch accusa Moller de conspirer avec Maraschli-Ali contre l’indépendance des Serbes. La discussion fut terrible, les passions les plus violentes étaient en jeu. « Tu mens, Milosch ! » criait Moller, et Milosch, pièces en main, prouvait que le président de la chancellerie serbe avait promis de désarmer la nation, si on lui en laissait prendre le commandement ; après quoi, s’adressant aux knèzes, il ajoutait : « Frères, j’ai été jusqu’ici votre chef, désormais ce sera Moller. Pour moi, je me retire. » À ces mots, les partisans de Milosch, c’est-à-dire presque tous les membres de l’assemblée, se jettent sur Moller, le renversent, lui lient les pieds et les mains. Moller avait pourtant un certain nombre d’amis dans la skouptchina ; pas un n’osa le défendre. On signa, séance tenante, une adresse à Maraschli-Ali pour demander le supplice du condamné. Le pacha, malgré ses relations avec Moller, n’eut garde de s’opposer à la sentence ; ce n’était pas sur lui que devait retomber le sang du supplicié, si une réaction venait à se produire ; il y avait là un