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il fut assailli par une violente tempête ; l’escadre entière fut dispersée et en danger de périr. Du Guay-Trouin se tint lui-même six heures au gouvernail du Lys pour l’empêcher de venir en travers ; ses voiles furent emportées, ses chaînes de haubans brisées, son grand mât rompu entre les deux ponts. Pendant la nuit, le Lys, dont les trois pompes jouaient à la fois, fut dans une situation si grave qu’il fit des signaux d’incommodité en tirant des coups de canon et en mettant des feux à ses haubans. Aucun navire ne put lui répondre excepté la frégate l’Argonaute, commandée par le chevalier Du Bois de La Motte, qui parvint à s’en approcher, prête à lui porter secours en cas de besoin. Le lendemain, ayant voulu rejoindre trois de ses vaisseaux qui étaient sous le vent, Du Guay-Trouin se dirigea vers eux ; mais une lame énorme plongea le Lys sous l’eau jusqu’au grand mât. L’effort qu’il eut à faire pour se relever le fit craquer dans toute sa membrure, et chacun se crut à son dernier moment. L’orage apaisé, Du Guay-Trouin rejoignit cependant l’Argonaute, la Bellone, l’Amazone et l’Astrée, et mit plusieurs fois en travers avec eux pour attendre le reste de l’escadre ; mais, ne la voyant pas venir, il se décida enfin à faire voile pour Brest y où il arriva le 12 février.

L’Achille et le Glorieux y mouillèrent deux jours après. Le Mars arriva démâté à La Corogne, et de là se rendit à Port-Louis. L’Aigle, coulant bas d’eau, gagna Cayenne avec son bateau de commerce et fut abandonné. Quant au Fidèle et au Magnanime, qui portaient 60,000 livres en or, commandés par La Moinerie-Miniac et le chevalier de Courserac, on n’en entendit plus parler. Ils avaient péri dans la tourmente. Malgré ces pertes, l’expédition rapporta encore 100 pour 100 aux armateurs. Une immense popularité s’attacha au nom de Du Guay-Trouin, et son voyage de Brest à Versailles fut un véritable triomphe. Le roi l’accueillit bien et lui assigna une pension de 20,000 livres sur l’ordre de Saint-Louis. Cependant, quelle que fût sa joie du succès, Du Guay-Trouin ne se consola point de la perte de La Moinerie-Miniac et de Courserac, ses vieux compagnons de gloire. A partir de cette époque, il ne servit plus : sa santé, brisée par tant de fatigues et de combats, ne devait point se rétablir ; il ne cessa pourtant d’aimer la marine et de l’aider de ses conseils et de son expérience. Au mois d’août 1715, à Versailles, le roi, l’ayant aperçu au milieu de la foule des courtisans, fit quelques pas de son côté et lui annonça qu’il lui donnait la cornette. Du Guay-Trouin accepta comme toujours avec reconnaissance cette faveur un peu tardive ; mais il s’aperçut avec douleur que le vieux roi s’affaiblissait sensiblement. Il resta auprès de lui, à Versailles, jusqu’au moment de sa mort, puis il prit la poste pour aller, comme