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avant d’aborder un autre problème encore plus chargé de difficultés et de tempêtes. L’un des chefs de la Liberation society, M. Miall, n’a pas trouvé grâce devant les électeurs de Bradford, et son nom n’a réuni qu’un nombre insuffisant de votes. L’Angleterre ne peut pas pour le moment aller au-delà du projet de M. Gladstone dans la séparation de l’église et de l’état. Quant à la chambre des lords, on s’est à peine souvenu d’elle durant toute la lutte. C’est pourtant le seul et dernier espoir du clergé anglais, car par tous les moyens il a fait appel au pays, et le pays l’a condamné[1].

Plus sage que ses amis, M. Disraeli a tout de suite reconnu sa défaite, et s’est noblement retiré du pouvoir. Certes le coup a dû lui être pénible. N’a-t-il point été frappé par ce même reform act auquel il avait attaché l’honneur de son ministère ? Qu’on se figure l’indignation de l’aigle atteint par une flèche garnie d’une de ses plumes ! M. Gladstone a été chargé de former un nouveau gouvernement : le cabinet libéral est aujourd’hui constitué, il s’appuie sur des noms qui représentent l’éloquence, Lowe et Bright ; mais déjà les augures ne manquent point pour prédire de grands embarras, des divisions, une seconde cave d’Adullam. L’avenir reste sans doute ouvert aux éventualités. Il faut pourtant se dire que les libéraux reviennent au parlement avec une majorité de 110 membres, mais surtout que cette majorité a été en outre épurée, rajeunie, retrempée dans les suffrages des électeurs. On a exigé de chaque candidat élu qu’il s’engageât sur l’honneur à soutenir la politique de M. Gladstone. Les exemples de justice populaire qui dans les dernières élections ont frappé certaines apostasies ne sont pas faits pour encourager de nouvelles défections. Dans tous les cas, les tories ne reviendraient aux affaires qu’à la condition de se montrer plus libéraux que les libéraux eux-mêmes. Où serait alors le danger pour le pays ? Quiconque a connu l’Angleterre il y a douze ans a certes lieu de s’étonner de tout le terrain qu’a gagné en si peu de temps la démocratie chez une nation qui passait pour inféodée aux traditions aristocratiques. Sans doute, si l’on s’arrête aux apparences, les institutions demeurent immobiles. Le trône, la chambre des pairs, l’église, n’ont subi aucune modification extérieure. Qui ne sait toutefois que les mêmes formes de gouvernement peuvent masquer de très grands changemens dans les idées, l’esprit et le

  1. Les chiffres ont leur éloquence : 1,208,657 électeurs ont voté en Angleterre pour le parti libéral et pour l’abolition des privilèges de l’église d’Irlande et 799,815 pour les conservateurs ; en Écosse, 121,926 contre 22,550 ont résolu la question dans le même sens ; en Irlande, 48,743 votes ont condamné les prétentions du clergé anglais, et 14,777 se sont déclarés en faveur du statu quo.