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se donnaient comme les candidats des travailleurs n’étaient pas plus heureux de leur côté. M. Howell, charpentier, ne recueillait à Aylesbury que 950 votes ; M. Cremer était repoussé à Warwick ; M. Passmore Edwards se voyait distancé à Truro par deux autres candidats ; le colonel Dickson, qui avait joué un rôle dans les manifestations populaires, était battu à Hackney ; le chef de la reform league, M. Beales, ne réussissait point aux Tower-Hamlets, et M. Bradlaugh, malgré une vigoureuse campagne, n’avait pu ébranler en sa faveur les forces du parti libéral. Où sont donc les vandales qui, d’après les prédictions de quelques esprits alarmés, devaient saper l’édifice de la constitution anglaise ? Si le nouveau parlement a un tort, c’est celui de trop ressembler à ses aînés ; il présente les mêmes traits de famille. On y voudrait un peu plus de barbares, des hommes apportant à la discussion une note et une idée nouvelles. Les masses, c’est le Times lui-même qui le dit, se sont montrées trop sages. Les nouvelles recrues n’ont fait jusqu’ici que grossir les rangs et élargir les cadres de l’armée libérale qu’on a déjà vue à l’œuvre. La nouvelle majorité de la prochaine chambre des communes se compose d’hommes choisis dans les mêmes classes de la société que la précédente ; elle sera conduite par les mêmes chefs. Avec plus d’autorité sans doute, parce qu’elle sort d’une source plus abondante et plus étendue, elle consacrera les doctrines de gouvernement qui sont connues de tout le monde. Le mot est dur, mais il a été dit avec une certaine vérité, « le nouveau parlement est remarquable par son insignifiance. » Les poètes, les romanciers de talent tels que M. Anthony Trollope, les écrivains militaires tels que M. William Howard Russell, si justement célèbre pour ses excellentes chroniques de la guerre de Crimée, n’ont pu trouver grâce devant la glaciale indifférence des électeurs. En revanche, les hommes d’affaires dominent dans la nouvelle chambre. Faudrait-il pourtant conclure de cette première épreuve que le suffrage électoral en s’étendant gravite vers la médiocrité ? Est-il juste de dire que le concours du grand nombre tend à éliminer de la représentation nationale le génie, l’initiative personnelle, l’originalité des opinions ? De telles craintes seront, je l’espère, démenties par l’expérience de l’avenir. Aussi n’est-il point inutile de rechercher les causes qui ont donné cette fois à l’Angleterre une majorité très respectable sans doute, mais qu’on voudrait peut-être moins uniforme.

Les. extensions du suffrage électoral ne changent nullement le caractère d’un peuple, ni les conditions de la société, appliquées avec bonne foi comme elles le sont chez nos voisins, elles ne font que mieux accuser la manière de voir et les dispositions du plus