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meetings. électoraux pour se faire une idée de l’enthousiasme et des acclamations que soulevaient dans l’auditoire les noms de Gladstone et de Bright, tombés au hasard des lèvres d’un orateur ?[1]. A quel point ces signes extérieurs traduisaient l’opinion réelle du pays, on allait le savoir ; le grand jour du poll (inscription des votes) était venu.

Dès le matin du 17 novembre, une émotion extraordinaire régnait dans un grand nombre de bourgs. Des troupes de musiciens Soufflant dans des instrumens de cuivre jouaient Britons will never be slave (les Bretons ne seront jamais esclaves), ou tout autre air approprié à la circonstance. Des hommes-affiches, promenant au bout d’une perche le nom ou la couleur du candidat qui les employait, les fiacres, les cochers, les chevaux eux-mêmes revêtus de rubans, quelques maisons pavoisées d’enseignes et de drapeaux, tout annonçait l’ouverture du poll. Un jour d’élections est pour les Anglais un jour de fête. Dans beaucoup d’endroits, les boutiques se ferment autour des maisons de bois destinées à recevoir les votes. Toute la population est dans la rue. Chacun porte à la boutonnière de son habit son opinion politique sous la forme d’une rosette. De moment en moment, des messagers aux couleurs de leur parti, à l’accoutrement théâtral, s’élancent à travers la foule, montés sur de légers poneys qui, piqués des deux et peut-être excités par l’enthousiasme général, s’éloignent bientôt comme le vent. Ces estafettes vont porter d’un comité à l’autre les nouvelles du scrutin. Des listes qu’on s’arrache de main en main, qu’on placarde à la porte de certaines maisons et qui circulent sur le dos des hommes-affiches, tiennent ainsi au courant du nombre et de la signification des votes. Nos voisins dépensent en un jour d’élections plus de mouvemens, d’efforts physiques et de courage qu’il n’en faudrait pour renverser un gouvernement. Ce sont, à vrai dire, leurs révolutions, car, en déplaçant les majorités au sein du parlement, ils conquièrent des avantages plus réels qu’ils n’en obtiendraient d’un changement de dynastie. Je voudrais que tous ceux qui n’ont jamais connu la vie politique assistassent à ce grand spectacle : ou je me trompe fort, ou ils reconnaîtraient eux-mêmes de quelle confiance virile des institutions libres aiment pour la lutte un peuple maître de ses destinées. Vainement prétendrait-on que les Anglais ne sont point les seuls à jouir de leurs droits électoraux. Dans les états où existe un gouvernement personnel, le caractère et le nombre des

  1. On raconte à ce propos une anecdote qui doit être vraie. Un candidat très honnête, mais fort peu éloquent, se plaignait à un ami du médiocre succès qu’il obtenait dans les réunions et de la froideur de ses commettans. « Parlez-leur de Gladstone, répondit l’autre, et vous serez applaudi. »