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du parlement, ni voter, ni remplir aucune fonction municipale ou judiciaire. Il s’expose en outre à être condamné à l’amende et à la prison. Non contente d’édicter des peines plus sévères que par le passé, la nouvelle loi a beaucoup simplifié la procédure. D’après la plainte et la dénonciation d’un témoin, le cas doit être décidé sur place, c’est-à-dire dans le bourg ou le comté, par un seul magistrat choisi entre les juges puînés de la cour du banc de la reine, des plaids communs ou de l’échiquier. Ces mesures comminatoires ont-elles eu tout le succès qu’on pouvait en espérer ? La vérité est que la brigue électorale ressemble au Protée antique ; elle n’échappe que trop souvent à la justice par la variété de ses transformations. Où commence-t-elle et où finit-elle ? C’est une limite très délicate à déterminer. L’année 1868 a vu se développer en Angleterre une nouvelle coalition contre le parti libéral, c’est celle des cabarets ou des public houses. De tout temps, il est vrai, ces établissemens ont joué un rôle dans les élections ; mais le plus souvent ils se divisaient entre les candidats. Chacun d’eux avait sa couleur, et cette couleur héréditaire se transmettait volontiers avec le fond. Ce n’était point le cabaretier, c’était la maison qui était whig ou tory. Dans la dernière lutte politique, ces traditions ont été à peu près abandonnées, et la très grande majorité des public houses ont arboré le drapeau des conservateurs. Quelle était la cause d’une défection si générale ? Les tories avaient établi leurs comités dans beaucoup de ces débits de bière et de liqueurs, tandis que les libéraux, par un scrupule et un sentiment de dignité qui les honorent, avaient évité d’en faire autant. De tels lieux de réunion n’en sont pas moins des foyers très actifs de propagande. Pour bien comprendre leur influence, il faut se dire que chez nos voisins tout est politique, les dîners, les divertissemens, les toasts. La vie du forum se rencontre partout, même dans le tête-à-tête de deux hommes vidant un verre d’ale devant un comptoir. Combien cette disposition est encore plus prononcée lorsque circule dans l’air le vent des candidatures ! Dans ce temps-là, les liqueurs elles-mêmes ont une opinion : le sherry (vin de Xérès) est conservateur, le whiskey est libéral, le gin est radical. Dans quelle mesure les flatteries, les boissons, les propos insidieux, altèrent-ils le caractère général des élections anglaises ? C’est ce qu’il est impossible de déterminer. Tout porte néanmoins à croire que l’argent dépensé dans les public houses, et trop souvent à la charge d’un des candidats, serait beaucoup mieux employé à servir la diffusion des idées.

D’autres influences plus sérieuses et beaucoup plus étendues ont pesé, il y a tout lieu de le croire, sur les dernières élections.