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candidats populaires venaient un peu tard ; ils frappaient à la porte de collèges dont la place d’honneur était déjà occupée par des hommes d’une notoriété incontestable. Pauvres et obligés de recourir à un système de souscriptions volontaires, comment soutiendraient-ils la lutte ? M. Odger avait été très applaudi dans quelques meetings où affluaient les ouvriers ; mais on sait ce que valent ces succès de parole en face des influences et de la richesse. N’y avait-il pas lieu de craindre d’un autre côté que l’échec de sa candidature n’entraînât la défaite du parti libéral dans un des bourgs de Londres les plus importans ? Remettre à des arbitres le sort d’une élection dans le cas où il y a plus de postulans que de places à remplir, c’était une innovation étrangère aux mœurs anglaises ; mais n’était-ce point aussi le seul moyen de conjurer un danger ? Sir Henry Hoare et M. Odger, les deux candidats libéraux, se soumirent à cette épreuve. Une sorte de tribunal, composé de membres très connus du parlement, MM. Stansfeld, Hughes et Taylor, décida que les chances n’étaient point en faveur de M. Odger, et qu’il devait se retirer de la lutte. Ce dernier accepta aussitôt le verdict. En reculant devant un scrupule de conscience, la crainte de diviser la majorité, M. Odger emportait l’estime et la considération des électeurs mêmes qui n’auraient point voté pour lui. Une telle retraite valait une victoire.

Pendant que les ambitions s’agitaient autour des candidatures, que faisaient les électeurs ? Beaucoup d’entre eux étaient occupés à établir leurs droits. Le reform act de 1867 avait à peu près rattaché le suffrage au domicile, household suffrage, il y avait pourtant d’autres conditions, telles que le paiement de la taxe des pauvres, qui devaient donner lieu à plus d’une difficulté judiciaire. Tout le monde s’y attendait, et c’était certainement un des vices de la nouvelle loi. On peut trouver mille défauts au suffrage universel ; mais il a du moins l’avantage d’être un mécanisme très simple et fonctionnant avec ensemble. Il n’en est plus du tout de même dès qu’on entre dans un système de restrictions. Où commence et où finit la qualité d’électeur ? Qui sera admis, qui sera exclu ? Le parlement avait bien déterminé en principe la limite du vote ; mais il avait laissé à d’autres le soin de mettre la loi en pratique. Ce fut une opération longue et compliquée. Les percepteurs et administrateurs de la taxe des pauvres (overseers) furent chargés de dresser dans chaque paroisse la liste des électeurs. Ces fonctionnaires connaissent chaque contribuable de leur district comme le créancier connaît son débiteur. Ces listes ne sont pourtant encore que provisoires ; elles doivent être soumises à l’examen et au contrôle d’un magistrat qu’on nomme le revising barrister. Ce