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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


nument élevé à la Serbie du xixe siècle. M. Kanitz a passé neuf ans dans la principauté, de 1859 à 1868. Il a vu mourir le vieux Milosch, et ses notes s’arrêtent quelques mois avant l’assassinat du prince Michel. Nous avons ici la peinture la plus complète de la Serbie des dernières années, nous pouvons mesurer le point où est parvenu ce peuple viril depuis l’époque où il conquit son indépendance après une servitude de cinq siècles. De la barbarie héroïque de 1804 à l’organisation sociale et politique de l’heure présente, un cycle entier est parcouru. M. Kanitz était parfaitement préparé à ces études ; il connaît la Serbie des anciens jours aussi bien que la Serbie du xixe siècle, on a de lui des recherches très savantes sur les antiquités byzantines ; c’est un historien, un archéologue, un ethnographe, c’est surtout un ami intelligent du peuple qu’il étudie. Il sait que les Serbes joueront nécessairement un grand rôle dans les transformations de l’Orient, et il se demande, non sans inquiétude, quel sera le dernier mot de la crise. « À côté de l’osmanli fataliste résigné d’avance à son destin inévitable, les raïas essaient déjà leurs forces pour le combat suprême. Grecs, Albanais, Roumains, Serbes, Bulgares, après une mort politique de bien des siècles, appelés à une vie nouvelle par la marche de l’histoire, se pressent de plus en plus au premier rang. Une mosaïque confuse de nationalités, de religions, de traditions politiques, d’ambitions contraires, apparaît aux regards étonnés. Comment les apprécier, les unir, les organiser politiquement ? Ah ! quelle tâche gigantesque pour les forces chargées de fonder les états, je veux dire la diplomatie et l’épée ! » Voilà pourquoi il a consacré sa vie à l’étude des Serbes, persuadé que les descendans des hommes de 1804 sont le plus en mesure de fonder quelque chose de durable au milieu de ces ruines et de cette poussière. Quel autre peuple a la fibre nationale plus forte ? Quel autre opposera mieux son génie propre aux intrigues moscovites ? Que l’Europe libérale les seconde, tout marchera bien ; mais, pour connaître à la fois l’état présent et les ressources possibles de la Serbie, il ne faut pas s’en tenir à la principauté. M. Kanitz, avant de composer son tableau, a visité les Serbes du Banat, du Monténégro, de l’Herzégovine, de l’Albanie. Renseigné de la sorte, pourvu d’observations qui lui permettaient des rapprochemens instructifs, le voyageur n’a reculé devant aucune fatigue pour achever son enquête, « Des dix-sept districts qui composent la principauté, il n’en est pas un seul, dit-il, où je n’aie fait de longs séjours ; chez quelques-uns, j’ai réitéré mes visites pendant plusieurs années consécutives. Sur les bords du Danube, le long de la Save et de la Morava, dans les épaisses forêts de la Drina et de la Schoumadia, depuis la pyramide du Rtanj jusqu’au sommet