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batailles ne se renouvelaient pas trop souvent. Malgré le bouillant abbé, souvent même contre lui, l’évêque et le pouvoir s’entendaient presque toujours à merveille. Le jubilé de la réformation, grande fête séculaire qui fut célébrée en 1835 à Genève en mémoire de la révolution religieuse de 1535, fit bien quelque peine au clergé romain ; mais il n’y eut que des larmes versées. Plus tard, l’Union protestante, association de calvinistes peu aimables, risqua bien de tout gâter par son système d’exclusion : elle faisait de la propagande en employant de préférence des domestiques, des ouvriers ou des fournisseurs de sa communion, elle risquait de produire à peu près autant d’hypocrites que de convertis ; mais cela n’agita point la ville remuante. Les esprits étaient ailleurs ; ce qui les passionnait alors, c’était le besoin d’un conseil municipal dans la ville et le désir de voir des visages nouveaux à la tête des affaires. Les luttes politiques de Genève entre 1841 et 1846, ont été racontées ici même avec une passion contenue[1]. Nous y reviendrons plus tard. Rappelons seulement que la chute du gouvernement conservateur en 1846 vint surtout de sa complaisance pour le Sonderbund. Les hommes du pouvoir, gens tranquilles et un peu renfermés, ne se doutaient point des haines soulevées contre les jésuites. Très protestans au fond et beaucoup plus que les radicaux, ils soutenaient sans doute à contre-cœur cette compagnie, ou du moins l’association de cantons catholiques armés pour la défendre ; mais il y avait dans ce débat une grave question de souveraineté cantonale, il y avait d’anciens droits contestés par des prétentions nouvelles, il y avait des agressions de corps-francs composés de patriotes avancés. Les conservateurs hésitaient donc, ignorant les colères et les forces hostiles. Ils furent violemment renversés ; mais les catholiques ne leur surent point gré de cette chute. M. James Fazy monta au pouvoir, et au bout de peu de temps eut pour lui presque tout le troupeau de feu Vuarin. Le chef des voltairiens, élevé au premier rang par un cri de guerre contre les catholiques, sut attirer les catholiques dans son parti. La politique, dit Macaulay, est tout le contraire de la logique, c’est la science ou l’art des transactions. Les catholiques du canton n’étaient pas seulement un groupe de croyans qui admettait certains dogmes ou certains rites, c’était une famille étrangère admise depuis 1816 au foyer genevois, famille un peu dépendante ou du moins subalterne, composée de paysans et de villageois pour la plupart laboureurs, ouvriers ou domestiques. Ils avaient donc tout à gagner à la

  1. Voyez, dans la Revue du 1er juillet 1851, la Suisse sous le gouvernement des radicaux, par M. Joël Cherbuliez.