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d’état dans l’état, une Savoie genevoise soutenue par Turin et gouvernée par Rome. Aussi « les messieurs de Genève, » gens avisés et fins joueurs, eurent-ils bientôt l’idée de trancher ce dernier lien qui attachait leur nouveau canton aux états sardes et d’agréger les paroisses du canton au diocèse de Lausanne et de Fribourg. L’abbé Vuarin, qui avait sa police, fut bientôt informé de cette entreprise, et remua terre et cieux pour la déjouer. Il fit à cet effet dès 1815 un voyage à Gênes, puis sept courses à Lucerne, où résidait le nonce, plusieurs à Chambéry, une à Sion : il mit en jeu des évêques, des cardinaux, deux rois, celui de Sardaigne et celui de Bavière ; mais Genève avait pour elle l’empereur d’Autriche, le roi de Prusse et son représentant à Rome, le fameux Niebuhr, très influent, quoique protestant. Rien de plus curieux que l’histoire de ces négociations : l’Europe entière agissait au Vatican pour ou contre Genève à propos d’un évêché. Cette petite ville avec ses petites affaires mettait depuis 1815 toutes les chancelleries en émoi ; un diplomate dépité s’écriait : « C’est donc la sixième partie du monde ! » Enfin l’abbé Vuarin fut battu à la fin de 1819 ; il dut obéir à l’évêque de Lausanne, qui reçut plus tard l’autorisation d’ajouter à son titre celui d’évêque de Genève, mais seulement pour l’honneur, sans extension de droits ni augmentation d’appointemens. L’évêque de Lausanne était un homme doux et conciliant dont on s’empara par des caresses. Il fit beaucoup de concessions aux Genevois ; leur gouvernement prit l’habitude d’intervenir dans la nomination et l’installation des curés, et exigea d’eux un serment ; les mandemens de l’évêque furent publiés et transmis par l’autorité civile. On peut se figurer le désespoir de l’abbé Vuarin. « Le pape, mon cher abbé, lui écrivait Joseph de Maistre pour le consoler, est conduit aujourd’hui comme il l’était hier, et quelquefois, même en faiblissant, il nous conduit à de grands résultats qu’il ignore lui-même… Rome va son train, et avance en reculant. »

Le clergé catholique de Genève avait tort de se plaindre ; les communes annexées malgré ses efforts lui donnèrent ce qui lui manquait absolument, un troupeau. Les 16,000 nouveaux citoyens du canton étaient presque tous catholiques. Quant aux Genevois, ils ne furent pas si méchans qu’on le croit pour leurs frères cadets. Ils dépensèrent de l’argent pour loger les curés et augmenter leurs traitemens, pour réparer les églises, pour conserver et doter le collège de Carouge. Ce fut ainsi que peu à peu la concorde ou du moins la paix finit par s’établir entre les citoyens des deux cultes. Il y avait sans doute de part et d’autre assez d’animation dans les débats religieux. Quand des protestans voulaient aller prêcher dans quelque commune catholique, cela ne se passait pas sans coups ; mais ces