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cachées dans les profondeurs des temps cosmogoniques, auraient donné naissance à un nombre limité de tiges successivement divisées et subdivisées. Ces premières tiges représenteraient les types primordiaux du règne ; les dernières ramifications seraient les espèces actuelles[1]. » C’est bien, on le voit, l’idée de Lamarck, étendue et précisée.

M. Naudin toutefois se rapproche davantage de Buffon dans la façon dont il comprend les êtres vivans envisagés au point de vue qui nous occupe. Il trouve en eux une certaine plasticité, une aptitude à subir des modifications en rapport avec « la différence des milieux dans lesquels ils se trouvent placés. » Cette flexibilité des formes a pour antagoniste la puissance de l’hérédité ; mais celle-ci à son tour a pour contre-poids une seconde force qui la règle et la domine au besoin. Cette force suprême est la finalité, « puissance mystérieuse, indéterminée, fatalité pour les uns, pour les autres volonté providentielle, dont l’action incessante sur les êtres vivans détermine à toutes les époques de l’existence d’un monde la forme, le volume et la durée de chacun d’eux en raison de sa destinée dans l’ordre de choses dont il fait partie. » Les espèces naturelles, telles que nous les voyons aujourd’hui, sont la résultante de ces deux forces. Elles sont d’autant plus fixes qu’elles ont derrière elles un plus grand nombre de générations, et qu’elles ont à remplir dans l’organisme général de la nature une fonction plus précise et plus spéciale. Les espèces artificielles que nous appelons races et variétés sont soumises aux mêmes lois en tout ce qui en détermine la formation et la stabilité.

De là même on peut tirer la conséquence que les espèces naturelles et artificielles doivent être le résultat de causes immédiates semblables. Telle est en effet la conclusion de M. Naudin, et là est certainement la conception la plus remarquable et la plus originale de son travail. « Nous ne croyons pas, dit-il, que la nature ait procédé pour former ses espèces d’une autre manière que nous ne procédons nous-mêmes pour créer nos variétés. Disons mieux : c’est son procédé que nous avons transporté dans notre pratique. » Quand, pour satisfaire à un besoin ou à un caprice, nous voulons faire produire à une espèce existante un type secondaire quelconque, nous choisissons les individus qui rappellent même de loin la modification que nous voulons réaliser ; nous les marions entre eux, et parmi leurs enfans nous choisissons encore ceux qui se rapprochent le plus de l’espèce d’idéal que nous avons conçu. Ce choix, ce triage, cette sélection poursuivie pendant un nombre in-

  1. Considérations philosophiques sur l’espèce et la variété. (Revue horticole, 1852.)