Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/859

Cette page a été validée par deux contributeurs.

des coquilles fossiles, si différentes des espèces vivantes qu’il déterminait et classait lui-même, il est bien obligé de reconnaître que l’homme n’est pour rien dans les modifications des mollusques. Il les attribue sans hésiter à l’influence des changemens subis par le globe lui-même, changemens qui ont entraîné pour les êtres vivans des besoins nouveaux, des habitudes nouvelles, et par conséquent des transformations. « Qu’on ne s’étonne pas, conclut-il, si parmi les nombreux fossiles il s’en trouve si peu dont nous reconnaissions les analogues vivans ; si quelque chose doit nous surprendre, c’est que nous puissions constater l’existence de quelques-uns de ces analogues. »

De toutes ces données résulte pour Lamarck l’idée qu’il se fait de l’espèce considérée dans le temps. À proprement parler, elle n’existe pas pour lui. « Parmi les corps vivants, dit-il, la nature ne nous offre d’une manière absolue que des individus qui se succèdent les uns aux autres par la génération, et qui proviennent les uns des autres ; les espèces n’ont qu’une constance relative, et ne sont invariables que temporairement. » Faisons-le remarquer tout de suite, dans cette dernière ligne reparaît le naturaliste, effacé jusque-là par le philosophe et le théoricien. Frappé de l’inégalité que manifestent à tous égards les êtres organisés, de la progression presque régulière qu’il avait constatée d’une extrémité à l’autre des deux règnes, Lamarck a voulu expliquer cet état de choses ; mais ces spéculations ne lui ont pas fait oublier les faits qu’il avait si souvent observés par lui-même. Lorsqu’il n’envisage plus l’espèce dans la durée indéfinie des siècles, lorsqu’il rentre dans les temps accessibles à l’expérience et à l’observation, il va jusqu’à employer l’expression « d’invariable. » Dans sa Philosophie zoologique, il a même accepté comme exacte une définition de l’espèce qui revient au fond à celle de Buffon, à celle de Cuvier, à celle de tous les naturalistes qui croient à la réalité de l’espèce.

Tel est l’ensemble de la doctrine de Lamarck. Il est facile de voir qu’elle lui appartient bien en propre, qu’elle n’a aucun rapport avec celles de ses prédécesseurs. Dans la route qu’il s’est tracée, l’auteur de la Philosophie zoologique côtoie parfois d’assez près de Maillet ou Robinet, mais pour des points de détails seulement, et sans que jamais ses opinions s’identifient réellement avec les leurs. Tout rapprochement réel était impossible entre lui et les deux écrivains auxquels on a cherché à le rattacher, car il partait de la génération spontanée et de l’épigénèse, tandis que toutes les théories de de Maillet et de Robinet reposent sur la préexistence des germes. On s’explique difficilement comment Cuvier lui-même a pu se méprendre sur ce point. Lamarck n’a pas davantage de rapports avec