Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/849

Cette page a été validée par deux contributeurs.

même manière, et n’ont en réalité rien de plus fondé. La preuve en est dans les dissentimens qui ont séparé et séparent les naturalistes, dans la difficulté qu’ils éprouvent à s’entendre sur la délimitation des groupes, dans la découverte journalière d’êtres intermédiaires venant combler les lacunes apparentes. S’il en reste encore un certain nombre, la science à venir les fera disparaître. Toutes les formes sont d’ailleurs transitoires, jamais la nature ne se répète, et d’un bout à l’autre du grand tout règnent sans cesse le mouvement, la variation, le changement. « Il pourra y avoir un temps auquel il n’y ait pas un seul être conformé comme ceux que nous voyons à cet instant de la durée des choses. »

Le monde matériel ou visible n’est en réalité qu’un ensemble de phénomènes déterminés par le monde invisible résultant de la collection des forces naturelles. Dans ces deux mondes, la loi de continuité veut qu’il y ait également progression. « Les forces s’engendrent à leur manière, comme les formes matérielles. » Dans la constitution du tout, la nature n’a pu procéder que du simple au composé. Il suit de là que tous les êtres ont dû avoir pour point de départ un prototype formé par l’union de la force et de la forme réduites à leur état élémentaire. L’échelle universelle des êtres résulte du progrès nécessaire de cet élément premier. Or le progrès s’accuse surtout par l’activité de plus en plus marquée, par la prédominance croissante de la force sur la matière. Des minéraux aux végétaux, des végétaux aux animaux et de ceux-ci à l’homme, la progression est frappante. Elle ne s’arrête pas là. « Il peut y avoir, dit Robinet, des formes plus subtiles, des puissances plus actives que celles qui composent l’homme. La force pourrait bien encore se défaire insensiblement de toute matérialité pour commencer un nouveau monde ;… mais nous ne devons pas nous égarer dans les vastes régions du possible. »

Nous avons déjà vu Robinet oublier bien souvent cette sage maxime, et c’est au moment même où il vient de la tracer qu’il lui est le plus infidèle. Abandonnant le monde des forces pures, il revient sur notre globe et s’arrête à l’homme. Il voit en lui le chef-d’œuvre de la nature ; mais celle-ci, « visant au plus parfait, ne pouvait cependant y parvenir que par une suite innombrable d’ébauches. » À ce point de vue, « chaque variation du prototype est une sorte d’étude de la forme humaine que la nature méditait. » Ce n’est pas seulement l’orang-outang, d’ailleurs « plus semblable à l’homme qu’à aucun animal, » qui doit être regardé comme une tentative faite pour réaliser ce terme final, ce n’est pas seulement le cheval et le chêne, ce sont encore les minéraux et surtout les fossiles. La preuve selon Robinet, c’est qu’on trouve