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nous guider dans ce travail. Par exemple, quelle que soit la juste illustration du nom d’Oken, je ne crois pas devoir aborder l’examen d’une conception fondée avant tout sur des a priori, et qui procède directement, de la philosophie de Schelling. L’étude des auteurs français suffira du reste pour nous faire envisager à peu près à tous les points de vue le problème dont il s’agit. Sans sortir de chez nous, on rencontre à ce sujet les conceptions les plus diverses, et dont les auteurs invoquent tantôt de pures rêveries décorées du nom de philosophie, tantôt l’observation et l’expérience, de manière à rester sur le terrain scientifique. Pour compléter cette revue, nous aurons seulement à remonter un peu plus haut que ne l’a fait Darwin. Celui-ci s’arrête à Lamarck et à la Philosophie géologique (1809). Il pouvait agir ainsi sans commettre d’injustice réelle ; pourtant il vaut mieux aller jusqu’au temps de Buffon et à Buffon lui-même. Il y a de sérieux enseignemens à tirer de quelques écrits de cette époque, ne fût-ce que pour réduire à leur juste valeur certains rapprochemens imaginés d’abord pour jeter de la défaveur sur les idées de Lamarck, et qu’on répète aujourd’hui pour combattre Darwin. Remonter plus haut serait inutile. Sans doute l’idée générale de faire dériver les formes animales et végétales actuelles de formes plus anciennes et qui n’existent plus se retrouverait bien loin dans le passé. On la rencontrerait aisément énoncée d’une manière plus ou moins explicite dans les écrits de maint philosophe grec, de maint alchimiste du moyen âge ; mais aux uns comme aux autres le problème de la formation des espèces ne pouvait se présenter avec la signification qu’il a pour nous. Avant Ray[1] et Tournefort[2], les naturalistes ne s’étaient pas demandé ce qu’il fallait entendre par le mot espèce, que pourtant ils employaient constamment. Or il est évident qu’il fallait avoir répondu à cette question avant de songer à rechercher comment avaient pu se former et se caractériser ces groupes fondamentaux, point de départ obligé de quiconque étudie les êtres organisés. Ce n’est donc pas même au commencement du xviiie siècle que le problème de l’origine des espèces pouvait être posé avec le sens que nous lui donnons aujourd’hui, et il faut en réalité arriver jusqu’à Benoît de Maillet[3] pour le voir traité de manière à nous intéresser.

Je viens d’écrire un nom qui a le privilège désagréable de provoquer à peu près toujours et partout un sourire dédaigneux ou

  1. Historia plantarum, 1686.
  2. Institutiones rei herbariœ, 1760.
  3. Telliamed ou Entretiens d’un philosophe indien avec un missionnaire français sur la diminution de la mer, 1748 et 1756. Il est presque inutile de faire remarquer que le titre du livre n’est que le nom de l’auteur écrit au rebours.