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atteint seulement le module d’une pièce de cinq francs. Là parfois il faut plusieurs passes ; une passe se compose de trois coups de balancier et d’un recuit, car, pour les médailles comme pour les lames, le métal, écroui par les chocs successifs qu’il a reçus, a besoin d’être exposé au feu pour redevenir malléable. La médaille dont l’empreinte n’est encore qu’ébauchée est noire lorsqu’elle sort du four ; elle est fourbie avec soin, et n’est remise au balancier qu’après être redevenue brillante. On la réengrène alors, c’est-à-dire qu’on la fait rentrer dans les coins de façon que les parties saillantes en remplissent exactement les parties creuses. Le nombre de passes nécessaires pour la rendre parfaite est considérable. La médaille commémorative de la loi du 11 Juin 1842 sur les chemins de fer a supporté 120 passes, qui représentent 118 recuits et 360 coups de balancier. Elle est célèbre du reste tant par sa beauté que par ses dimensions. C’est la plus grande qui soit jamais sortie des ateliers de la Monnaie. Je me souviens d’en avoir vu un exemplaire en or au moment où on la frappait, en 1844 ; c’était une masse pesant 1 kilogramme, reluisante, à reflets magnifiques, digne de figurer dans n’importe quel musée. Deux spécimens en avaient été frappés, l’un pour le roi, l’autre pour le ministre des travaux publics ; que sont-ils devenus ?

Malgré les perfectionnemens apportés au mode de fabrication, malgré les progrès de la chimie, qui peut déterminer les alliages avec une certitude mathématique, les belles médailles sont rares aujourd’hui. Lorsqu’on va au cabinet de la Bibliothèque impériale et qu’on voit les monnaies siciliennes et de la Grèce, le grand stater d’Eucratides, l’auguste d’or, les philippes et les alexandres de Macédoine, les médailles italiennes du XVIe siècle, et même quelques médailles françaises des règnes de Louis XIII et de Louis XV, on se demande avec étonnement pourquoi cet art si précieux, si exquis, semble ne pouvoir se relever de la décadence qui l’a frappé sur la fin du siècle dernier. L’école de David et ses étroites maximes pèsent encore sur lui. A force de vouloir faire du style, nos graveurs, à qui nul ne pourrait dénier le talent d’exécution, restent dans une rigidité de lignes, une froideur d’attitudes, qui ne sont pas de la grandeur, et qui ôtent tout ce qui constitue l’expression, c’est-à-dire la vie. Leurs effigies ne sont que des têtes, il n’y a pas d’âme ; ce sont moins des visages que des masques. On dirait que ces artistes, immobilisés dans des règles trop étroites, se défient d’eux-mêmes et reculent avec effroi devant toute tentative d’originalité. Les traditions qu’ils respectent ont eu leur raison d’être à une époque où il a fallu réagir brutalement contre les afféteries des maîtres du XVIIIe siècle ; mais ces traditions n’ont plus rien à nous apprendre aujourd’hui, et c’est faire acte de faiblesse que de s’y