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monnayeur nommé Moreau inventa la virole brisée[1]. C’est un cercle divisé en trois segmens égaux dont chacun porte, gravée en creux, une partie de l’inscription totale qui est dès lors reproduite en relief. Le système de la virole brisée a le défaut de ne pas arrêter nettement le contour de la pièce, de lui laisser je ne sais quoi d’indécis ; mais elle a cet avantage inappréciable de dérouter les efforts des faux monnayeurs, à qui elle offre des obstacles dont ils ne parviennent à triompher que très difficilement.

Le graveur-général a sous ses ordres un atelier nombreux, des balanciers spéciaux où il fait ses reproductions et ses essais ; il est responsable des aciers qu’il emploie, des coins qu’il fournit, et il est payé en raison de la quantité des matières soumises au monnayage. Il a une sorte d’importance morale qui n’est point à dédaigner ; c’est lui qui détermine le type populaire du souverain. Les monnaies périssent peu ; moyen d’échange accepté par l’univers entier, elles passent de main en main, de peuple à peuple, et vont par le monde porter le nom d’un pays et le portrait d’un homme ; lorsqu’elles deviennent rares, elles sont précieusement gardées dans des collections ; elles sont les documens multiples et mobiles de l’histoire. Plus elles sont belles, plus elles ont chance de se perpétuer à travers les âges. La numismatique a rectifié plus d’erreurs chronologiques que les meilleurs calculs, et l’artiste, à qui incombe la tâche de graver les monnaies d’une époque échappe à l’oubli, s’il a rempli son devoir avec talent, conscience et sévérité. On reproche parfois aux graveurs de médailles de n’être plus aussi habiles que leurs devanciers ; on ne réfléchit pas qu’en pareille occurrence de modèle est pour beaucoup, et que, s’il est facile, par exemple, de faire une belle effigie avec un visage auquel l’agencement même des lignes constitutives donne un caractère imposant, il n’est point aisé de créer un type avec une figure vulgaire ou sans expression. Les médailles de Louis XIV, de Napoléon Ier, de Louis XVIII, sont fort belles ; que dire de celles de Charles X ? La première condition pour avoir une monnaie d’aspect satisfaisant est que le modèle offre des traits qui conviennent à la gravure sur métaux. Les Grecs, nos maîtres en cet art difficile, le savaient bien, et ils choisissaient arbitrairement les plus admirables profils de femmes pour les reproduire sur leurs monnaies. Il ne semble pas cependant qu’on tire au point de vue historique tout le parti possible de ces objets à la fois usuels et précieux, qui, tout en servant

  1. Ou mieux réinventa, car la virole brisée exista autrefois, ainsi qu’on peut le constater sur les pieds-forts du XVIe et du XVIIe siècle. Le pied-fort était une pièce pesant quatre fois plus que le poids normal, et qu’on frappait à toute émission nouvelle pour le roi et les officiers de la monnaie.