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hommes du moyen âge. Et ce n’est pas seulement dans ces monumens magnifiques, dans ces œuvres où se résument les forces vives de l’intelligence d’une nation, que l’on peut saisir sur le fait les pensées secrètes d’une société disparue. Les meubles, les poteries, les étoffes, les armes d’une époque, nous donnent sur les gens qui s’en servirent des renseignemens précis et inattendus. Cette histoire des arts éclaire l’histoire civile, et jusqu’à un certain point pourrait même servir à la reconstituer.

Pour être appréciée et aimée, il ne manque à l’archéologie que d’être mieux connue. On lui a fait une sorte de mauvaise réputation. Beaucoup de gens ne sont pas éloignés de la considérer comme une étude à la fois pédantesque et puérile. Il faut dire que ces jugemens sommaires sur une science qui a fait maintenant ses preuves trouvent de moins en moins de faveur. Pour remettre ces recherches attrayantes et utiles à leur vraie place dans l’estime des gens du monde, M. Paul Lacroix a pris le moyen plus sûr : il a consacré à l’histoire des arts en France, du IVe siècle aux abords du XVIIe, un livre dont le fond est sérieux et la lecture agréable. Dans une matière où la tentation d’étaler un peu trop d’érudition était peut-être naturelle, il a eu le bon esprit de ne nous donner que le suc de la science. Il a fait mieux, il s’en est surtout remis au crayon du soin de familiariser notre esprit avec les formes et le sens de l’art ancien. Cette éducation par les yeux est la meilleure. Il a du reste été servi par une exécution soignée et par des procédés de reproduction irréprochables. Cette remarque s’applique surtout aux planches, chromolithographiques dont l’ouvrage est orné.

Le livre de M. Lacroix nous introduit successivement dans un palais barbare, dans un château du XIIIe siècle, dans une élégante habitation de la renaissance. Il nous fait toucher du doigt les objets qui y furent contenus. Meubles, ustensiles, écrins, livres, tableaux, rien n’est oublié. Nous connaissons après cela les propriétaires, il suffit pour dégager le caractère des habitants de tirer les conclusions qui ressortent naturellement du milieu où ils vécurent. Si nous avions un reproche à faire à l’auteur, ce serait d’avoir un peu écourté ce qui concerne le moyen âge pour s’attacher à la renaissance. Sans doute l’art du XVIe siècle est né d’une inspiration sinon plus haute, du moins plus rapprochée de nos conceptions présentes que celui du XIIIe. Il est aussi représenté par des individualités plus saisissantes. Certainement un intérêt dramatique s’attache à la vie et aux œuvres des vaillans artistes qui, comme Lucca della Robbia, Bernard de Palissy, Benvenuto Cellini ou Guillaume de Marseille, le verrier du pape Jules II, portèrent jusqu’aux limites du grand art un métier d’artisan renouvelé par eux. Le livre de M. Lacroix gagne en chaleur et en animation quand il nous dépeint les efforts de ces fondateurs de plusieurs industries contemporaines. Peut-être cependant, pour réserver une place suffisante aux grands hommes de la renaissance, qui en eut tant dans tous les genres, a-t-il un peu parcimonieusement mesuré l’espace aux artistes anonymes des époques antérieures. Il y avait là tout un champ de recherches qui aurait dû l’attirer.


ALFRED ÉBELOT.


L. BULOZ.