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dans le prochain parlement ; on a bien vu à divers incidens de la lutte qu’il garde toujours de profondes racines dans le vieux sol anglais ; on a pu voir aussi avec quelle habileté le bill de réforme a été combiné de façon à faire la part des élémens conservateurs. Vaincu en masse, le parti tory n’est pas sans avoir eu quelques avantages sur certains points ; il a montré ce qu’il a de vivace, et, par une singularité peut-être un peu inattendue, le parti libéral de son côté, en triomphant dans l’ensemble, n’est pas sans avoir subi quelques sérieux échecs. Nous ne parlons pas de l’élimination à peu près systématique des candidats populaires, des représentans des classes ouvrières qui se présentaient aux élections : c’était là une nouveauté pour laquelle l’Angleterre n’était pas encore mûre. La première application du bill de réforme a fait bien d’autres victimes. M. Milner Gibson, un des hommes les plus éclairés du parti libéral, a échoué à Asthon. Un des chefs du parti radical, M. Roebuck, est resté sur le champ de bataille. M. Stuart Mill, l’éminent philosophe, l’homme qui avait été élu il y a quelques années à peine d’un mouvement en quelque sorte spontané, M. Stuart Mill a été vaincu à Westminster ; le défenseur du droit des femmes n’a pas trouvé grâce devant les électeurs. M. Gladstone lui-même a essuyé un échec dans son district du Lancashire, et lui, le triomphateur, le premier ministre désigné, nécessaire, il n’est du parlement que parce qu’il a été élu dans une autre circonscription, à Greenwich. Dans la Cité de Londres, M. Lionel de Rothschild n’a pu réussir à être un des trois élus, et c’est un conservateur qui a été nommé à sa place. La victoire des libéraux n’a donc pas la signification d’un déplacement subit de toutes les conditions politiques de l’Angleterre. La majorité de la nouvelle chambre est formée à peu près des mêmes élémens qui composaient déjà les autres parlement c’est-à-dire qu’elle s’est recrutée comme par le passé dans les classes restées jusqu’ici en possession du pouvoir. C’est pour le 10 décembre qu’est convoqué le parlement nouveau ; mais, sans attendre jusqu’à ce moment, le résultat des élections est assez décisif pour qu’un changement de ministère ne soit plus qu’une question de forme, et déjà on pourrait dire que M. Disraeli est occupé à mettre ordre à ses affaires. La reine vient d’accorder un titre de noblesse à la femme du premier ministre, et elle lui aurait offert à lui-même la pairie, à ce qu’il semble. M. Disraeli aurait décliné cette offre, et on conçoit bien qu’avec son habileté de tacticien, avec son active ambition, il tienne à rester de préférence le chef du parti conservateur dans la chambre des communes. M. Gladstone triomphe donc, et dans quelques jours il sera sans doute appelé à former un nouveau ministère. Là commenceront ses embarras, ils pourront être de plus d’une sorte, si, comme on l’a dit, la reine a laissé voir déjà ses scrupules au sujet de l’abolition de l’église d’Irlande ; mais, cette difficulté même écartée, il restera toujours à réaliser cette grande réforme de façon qu’elle soit acceptée par le pays ; il restera