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européen en tenant l’opinion dans des anxiétés fébriles semblent se dissiper pour le moment, disions-nous. Il y a du moins, si les apparences ne trompent pas, des raisons plus sérieuses de croire que les chances d’un conflit redoutable vont en diminuant, que la cause de la paix a gagné du terrain. Ce n’est pas que les conditions générales soient essentiellement modifiées depuis les grands événemens d’Allemagne. Là-dessus, il n’y a pas trop d’illusions à se faire, et ce serait montrer un optimisme bien peu prévoyant que de se livrer à des espérances indéfinies. L’avenir n’appartient pas même à ceux qui se figurent qu’ils peuvent en disposer souverainement aujourd’hui ; mais enfin la paix, une paix telle quelle, sans trop de garanties, semble pour le moment assurée, et c’est peut-être le résultat d’un travail assez insaisissable qui s’est poursuivi dans ces derniers temps. On a parlé beaucoup d’une médiation, et cette idée a été naturellement éveillée par le discours de M. Disraeli au banquet du lord-maire aussi bien que par le discours plus récent de lord Stanley à ses électeurs de Lynn. Il n’y a eu, si nous ne nous trompons, il ne peut y avoir et il ne se prépare rien de semblable.

Une médiation, sur quoi porterait-elle entre des puissances qui ne sont pas en guerre, qui n’en sont point à se heurter directement sur une question déterminée ? C’était bon dans l’affaire du Luxembourg, où l’antagonisme éclatait sous une forme nette et criante. Ce qu’on peut dire seulement, c’est qu’il y a eu depuis quelques mois des échanges d’impressions dont divers personnages ont été les intermédiaires de bonne volonté. La diplomatie est très voyageuse de notre temps : elle a toujours plus ou moins la mission de travailler à la paix ; elle observe, elle écoute, elle recueille les impressions, elle rapporte ce qu’elle a vu et ce qu’elle a entendu, La diplomatie a voyagé beaucoup cet été, on s’en souvient, avec ou sans mission expresse. Que s’est-il passé réellement ? Il paraît assez certain que l’empereur des Français, trouvant des occasions de s’expliquer d’une façon tout intime, n’aurait point déguisé ses préférences pour la paix ; il aurait dit sans détour que, si la situation générale avait créé pour la France la nécessité d’une nouvelle organisation militaire, ces armemens ne cachaient aucune velléité agressive, aucune intention de représailles, qu’il regardait comme accomplis les événemens de 1866, que tout tenait à un point : si en Prusse on n’avait pas le dessein de dépasser le traité de Prague, d’emporter de vive force ou par subterfuge l’unification de l’Allemagne, il n’y avait aucune difficulté, aucune raison de croire à un conflit imminent ; si au contraire on avait la pensée de franchir le Mein, la France dans ce cas, et dans ce seul cas, serait probablement entraînée à la guerre. De son côté le roi de Prusse, trouvant, lui aussi, l’occasion, de panier librement avec les mêmes personnages, n’aurait point caché qu’il se tenait pour satisfait de ses récentes conquêtes, et qu’il n’avait mille envie de les risquer au jeu des batailles. Naturellement il ne pouvait engager, l’avenir, un avenir assez lointain ;