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à s’étonner de rencontrer habituellement dans la bouche des prêtres un langage plein de déférence à l’égard des autorités existantes. Le clergé a toujours parlé au pouvoir et du pouvoir avec infiniment de respect, non pas à cause du pouvoir lui-même, comme le remarque judicieusement M. de Pradt, mais à cause de l’origine de ce pouvoir, dans lequel il s’est toujours complu à voir une émanation du droit divin. Cette habitude est ancienne chez le clergé de France. Qu’on parcoure les anciens procès-verbaux de nos assemblées ecclésiastiques, qu’on lise l’Histoire universelle de Bossuet ou ses admirables sermons prêches à Versailles, on y rencontrera plus d’une louange singulière directement adressée par le grand évêque à Louis XIV. Sous le règne scandaleux de Louis XV, les habitudes adulatrices du sacerdoce français à l’égard du souverain ne furent nullement changées; elles se continuèrent jusqu’en 1789, car elles étaient de tradition. Il y a toutefois une différence importante à noter. Louis XIV, Louis XV malgré ses mœurs et Louis XVI étaient, au plus profond de leur cœur, des princes convaincus et chrétiens; à la connaissance de tous, Napoléon était philosophe. Il y a, il y aura toujours, quoi qu’on dise, quelque chose de choquant en soi et de particulièrement dégradant pour ceux qui s’y prêtent dans les protestations enthousiastes, dans les flatteries excessives décernées par les ministres d’une religion aux hommes puissans dont ils dépendent et qui n’admettent aucune de leurs croyances. C’est une triste condition en pareille circonstance de n’avoir à choisir aux yeux d’un public clairvoyant et le plus souvent frondeur qu’entre le métier de dupes ou le rôle de complices. Dans laquelle de ces deux catégories l’histoire doit-elle placer les membres des commissions ecclésiastiques de 1809 et 1811? Nous ne savons. Voici le jugement que portait sur eux dans le moment même un simple prêtre, leur collègue, qui ne se piquait, lui, d’aucun savoir-faire en politique, mais qui les éclipsait tous par la sainteté de sa vie, par la rectitude de son intelligence et par sa tranquille, mais inébranlable fermeté. « Comment nos évêques ne voient-ils pas, écrit l’abbé Émery à l’un de ses amis, que ces moyens de conciliation que l’empereur leur demande ne sont qu’un jeu de sa part pour en imposer aux simples et un masque pour couvrir sa tyrannie? Qu’il laisse l’église tranquille; qu’il rende à leurs fonctions le pape, les cardinaux, les évêques; qu’il renonce à des prétentions extravagantes : tout le reste sera bientôt arrangé. Et ces prélats qui regardent comme des améliorations, comme des bienfaits pour l’église les décorations ou les titres qu’ils ont obtenus! Où allons-nous donc, mon Dieu[1]? » Ces derniers mots de l’abbé Émery faisaient allusion à un passage des ré-

  1. Vie de l’abbé Coustou, par l’abbé Coste, p. 232.