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en temps imité l’exemple du chien qui porte à son cou le dîner de son maître.

Point de courroux, messieurs ; mon lopin me suffit :
Faites votre profit du reste.
À ces mots, le premier il vous happe un morceau,
Et chacun de tirer, le matin, la canaille,
A qui mieux mieux ; ils firent tous ripaille.

Aucun peut-être n’a été sans péché : la tentation était trop forte, et le succès durant quelques années semblait promis à qui serait le plus hardi contre le bon sens et le goût. Cette débauche de réalités, de scandales et de barbarismes a trouvé sa fin ; mais doit-elle être suivie d’une abstinence aussi fâcheuse que le mal, et le jeûne sera-t-il la punition des excès du théâtre ? Le travail, l’étude sérieuse, l’esprit de choix et de discernement, peuvent montrer à la comédie contemporaine le véritable chemin à côté duquel elle a passé plus d’une fois. Pour ne parler que des deux écrivains qui ont le plus de popularité, au lieu de chercher un théâtre prétendu moral pour lequel il n’a pas assez d’autorité, M. Alexandre Dumas fils ferait mieux de donner quelque pendant à l’intrigue habile de son Demi-Monde, écartant d’une main sévère les curiosités subalternes ; au lieu de flotter entre la comédie philosophique et les satires plus ou moins puisées dans Balzac ou dans les chroniqueurs de nos journaux, M. Emile Augier peut consacrer son vers souple et vigoureux à quelque comédie d’une forme plus littéraire que le Gendre de M. Poirier et d’une vérité plus générale et plus forte que Gabrielle. A leur défaut, celui-là seul aura trouvé la comédie dont nous sentons vivement l’absence qui possédera le secret de plaire également aux connaisseurs et aux curieux, de joindre l’amour de l’art à la peinture des réalités sans faire d’histoire naturelle, d’inventer des situations intéressantes et de décrire tout ensemble les mœurs en représentant non des banquiers, des journalistes et des notaires, mais des hommes.


LOUIS ETIENNE.