Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/749

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La comédie des connaisseurs ne pouvait manquer d’envier à un théâtre plus populaire les suffrages de la multitude. Aussi les auteurs dramatiques les plus lettrés de notre temps ont-ils essayé, chacun à son tour, de faire quelque emprunt à Balzac et à ses fidèles. Dès son début dans la carrière, M. Augier s’est trouvé placé entre deux critiques et deux doctrines opposées, ainsi que l’homme entre deux maîtresses. L’une, l’engageant à quitter la fantaisie pour l’observation, était la vieille amante qui eût volontiers hâté l’âge de sa maturité. La comédie aime les hommes faits, et Thalie ne devait pas être la plus jeune des neuf sœurs. L’autre, qui professe le culte de la fantaisie et qui recommande d’avoir toujours vingt ans, même à soixante, aurait volontiers arraché les cheveux gris du poète à mesure qu’elle aurait vu venir ces promesses de l’âge mûr. M. Augier a fait ses preuves dans l’étude et l’expression des réalités sociales : peut-être est-il allé au-delà de ce que lui demandaient les partisans de l’observation et les amis de la peinture des mœurs ; on a pu croire que les lauriers de M. Dumas fils l’empêchaient de dormir. S’il s’était arrêté au juste tempérament d’observation et de philosophie qui se trouve dans le Gendre de M. Poirier, nous croyons qu’il eût été mieux inspiré. Cette pièce, qu’on s’accorde à regarder comme son œuvre la plus forte, serait pour nous en ce moment le sujet de quelque embarras, si, nous bornant à l’appréciation des titres de M. Augier, nous voulions en dégager ce qui revient à lui ou à son collaborateur M. Jules Sandeau ; mais si, dans les comédies de M. Augier, c’est toute une partie considérable du théâtre contemporain que l’on étudie, peu importe te nom auquel sont adressés les éloges que mérite le Gendre de M. Poirier. Il suffit que dans une comédie littéraire de notre temps l’intrigue, le roman de la pièce, qui a tant d’importance aujourd’hui, ait été au moins une fois mêlé à des peintures de mœurs vraies et de caractères bien saisis sans que l’unité ait eu à souffrir de ce mélange. Ni les Effrontés ni Maître Guérin n’ont si bien résolu ce problème difficile de peindre la société et de développer en même temps des situations sans coudre plusieurs actions et plusieurs pièces ensemble. La Contagion demeure tellement au-dessous du Gendre de M. Poirier pour l’unité des caractères, qu’il semble impossible que les personnes qui ont contracté de telles habitudes et un tel langage puissent être les héros de l’honnête roman auquel l’action les rattache. On ne peut être à la fois et dans la même soirée Sedaine et Beaumarchais, Marivaux et Lesage.

Mais cette absence d’une assez forte unité dans les comédies de mœurs une fois constatée, quelles heureuses compensations ! combien les tentatives nouvelles de M. Augier ont développé en lui de