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du Chandelier. Ceux des proverbes de Musset qui comptent parmi les peccadilles du poète auraient sans doute sa préférence. Conteur ingénieux et fécond, sa plume brillante se défend rarement du plaisir de faire accepter sur la scène un paradoxe. Ce tour d’imagination lui a dicté le Théâtre impossible.

Un autre écrivain, qui est un maître consommé, ne hait pas les surprises de l’esprit, mais il les fait tourner au profit de l’honnêteté et de la vertu : il est doublement spirituel, s’il est vrai qu’il faut deux fois plus de talent pour réussir en parlant morale. C’est M. Octave Feuillet. Quelques-uns ont pris le parti de jeter le discrédit sur la passion ; ils la dépouillent de ses grâces, et ne lui laissent que ses misères et ses plaies. L’auteur de Dalila va plus loin que les apologistes du mariage, et ne craint pas d’opposer l’amour chaste à l’amour déréglé. Il ne veut pas comme eux diviser tout le sexe féminin en deux grandes classes, les petites dames et les mères[1], laissant aux femmes honnêtes des devoirs pénibles pour toute compensation, et aux hommes la volupté pour tout aliment du cœur. M. Feuillet a conservé la foi dans l’amour tout en combattant pour la règle, et il a bien connu le cœur humain, puisqu’il lui parle au nom de ses sentimens les plus vifs et les plus intimes. Observateur aussi fin que moraliste original, il a montré dans Montjoie ce qu’il savait faire dans la peinture des caractères, et a porté au théâtre les qualités diverses qui font de ses romans tour à tour des fictions très amusantes et des drames pleins d’intérêt. Il n’aurait laissé à aucun autre l’honneur de représenter la haute comédie de notre temps, si la distinction et la délicatesse de son talent ne l’avaient pas appelé à la première place dans le genre du roman. Les récits de M. Feuillet ont pris une trop belle place dans la littérature de notre temps pour qu’il ait à regretter d’avoir dans l’art dramatique des rivaux qui ont pour eux une possession plus longue de la scène et une familiarité plus étroite avec le public.

Nous ne pouvons ni indiquer le développement de chacun de ces talens divers, ce serait un détail infini, ni caractériser en termes généraux la comédie strictement littéraire de ces derniers temps, ce serait un travail sans utilité. Dans l’un et dans l’autre cas, nous dépasserions également les proportions de cette étude. Heureusement un nom se présente qui, se tirant de la foule des auteurs dramatiques, résume les tendances, les tâtonnemens, les défaillances même de presque tous : l’histoire de tous les esprits cultivés que la comédie de nos jours a groupés autour d’elle se retrouve plus ou moins dans son histoire, et celle-ci est si présente au public de nos grands

  1. Voyez, par exemple, les Effrontés, acte Ier.