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la vie et du caractère des gens de lettres au XIXe siècle, il n’éprouvera pas de petites difficultés pour établir son théâtre utile. Espérons que sa peinture est un peu chargée, que les écrivains qui ont quelque sagesse ne sont pas si abandonnés de Dieu et des hommes, et qu’un certain nombre de ceux qui font figure à la fois dans le monde et parmi les honnêtes gens a su rester pur de l’universelle contagion.


III

Il s’en faut qu’Alfred de Musset soit un maître aussi religieusement suivi que Balzac. Notre pensée, en l’opposant à ce dernier, était surtout de mettre sous l’invocation d’un nom consacré par l’admiration cette partie du théâtre contemporain où la littérature et l’art conservent encore des fidèles. Certes ses gracieuses esquisses dramatiques n’ont été ni sans action sur le goût public ni sans enseignemens pour les écrivains ; mais c’est parce qu’il a préservé dans de mauvais jours le flambeau de la poésie qu’il se recommande, et nous inscrivons son nom sur le drapeau de ceux pour qui le théâtre est absolument une institution littéraire. Comme ils s’accordent seulement sur un point capital, que la comédie ne peut être un calque servile et qu’elle n’est pas faite pour révéler à la scène le dessous de la société, leur tentative ressemble à une réaction ; ils n’ont en commun que des principes négatifs, ils sont très divers. La pure fantaisie littéraire, est le guide de MM. de Banville et de Belloy. Jusque dans la comédie, Ponsard argumente, il pérore même quelquefois comme Delavigne, dont il n’a ni la grâce ni la distinction. A côté des idylles ingénues de M. Gondinet, nous avons les satires légères de M. Pailleron. Des bouquets odorans de poésie font passer les frêles intrigues du premier. Le second, qui gagne à chaque épreuve, cherche et trouve parfois le secret d’allier l’esprit littéraire à la fidélité dans la peinture des mœurs. La comédie doucement satirique comptait encore M. Camille Doucet, qui s’est peut-être trop souvenu de ses devanciers de la restauration, au moins dans leur repos sagement prématuré, otium cum dignitate. Dans ce groupe littéraire, une place importante demeure à M. Jules Sandeau, qui, rattachant la peinture des mœurs à quelque histoire intéressante du cœur, sait y répandre la gaîté, et nous donner après Alfred de Musset l’exemple le plus exact de la comédie réduite à ses propres forces. N’oublions pas Murger : nul n’a plus le droit de se dire un disciple de l’auteur de Frédéric et Bernerette. M. Edmond About, malgré tous ses efforts, ne saurait nous apparaître comme un disciple de Balzac : il a plutôt choisi pour guide l’auteur