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passer comme le maître à d’autres tableaux. Ne donnait-il pas lieu de croire qu’il voulait le succès à tout prix ?

Il a donc poursuivi son interminable chapitre d’histoire naturelle. La Dame aux Camélias n’est pas seulement l’histoire des amours de Marguerite Gautier : trois ou quatre variétés du même genre entourent le sujet principal, qui par ses qualités s’élève de toute la tête au-dessus d’elles ainsi que la déesse Calypso au milieu du chœur de ses nymphes. Nous y voyons la petite dame qui traîne à son char plusieurs captifs dont elle réalise les dépouilles opimes, celle qui est la complaisante des autres pour avoir le droit de leur emprunter, celle qui se charge de rédiger les maximes de morale pratique à l’usage de ce monde, celle enfin qui a seulement des intelligences dans la place, et observe sagement la règle de. son ménage irrégulier. Le Demi-Monde, bien préférable d’ailleurs, offre aux curieux une espèce très particulière parmi ces jolis animaux fort dangereux que l’auteur a su acclimater au théâtre pour les plaisirs d’un public indulgent. C’est la misérable intrigante qui est partie de la fange où elle vivait pour s’élever jusqu’au mariage et, à la considération. Une simple réflexion sur ce point. Nous supposons que tous les épisodes, toutes les fausses baronnes et comtesses aient été supprimées dans cette œuvre, il ne reste que Suzanne traînant le fardeau de son ignominieux passé ; à chaque effort de cette malheureuse pour l’écarter, pour l’oublier, il lui retombe sur la tête plus pesant, plus cruel. Cet enchaînement de mensonges et d’explications perpétuelles qui fait le nœud de la pièce demeure tel que nous le voyons ; il n’y a ni changement dans l’action, ni diminution dans l’intérêt : qu’y perdrait-on ? La nouveauté, la description étrange, l’exhibition scandaleuse ; on y perdrait précisément ces épisodes, ces baronnes, ces comtesses, qui sont la découverte de l’auteur. On aurait une pièce de Scribe dans les momens où il pratiquait le réalisme ; on n’aurait plus M. Dumas fils. L’idéal de M. Dumas fils serait (il le dit lui-même dans la préface du Père prodigue) de connaître l’homme comme Balzac et le théâtre comme Scribe. A qui pensait-il en écrivant ces lignes ?

La naissance et la fortune ont seules empêché Diane de Lys d’être une femme perdue, si quelque chose au monde dans notre société sans privilèges peut empêcher une femme d’obéir à la vocation de l’opprobre. C’est une variété nouvelle, c’est aussi un souvenir de Balzac ; celui-ci a tout autant de femmes honnêtes corrompues comme des courtisanes que. de courtisanes vertueuses comme les femmes les plus honnêtes. Malgré l’extrême bonne volonté du public de M. Dumas, ce personnage a médiocrement réussi, il a trouvé quelques incrédules ; M. Dumas y reviendra-t-il ? La réponse serait