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d’aboyer, de japper, de bramer, de glapir. Il se sont appliqués à rendre non la parole humaine qui sort de l’âme et du cœur pour y retourner, mais la parole de telle condition et de tel métier, la parole du bourgeois, du procureur, du rapin, du viveur, de la femme entretenue, du prêteur à la petite semaine, de la courtisane. De là vient la langue multiple, étrange, triviale et surtout barbare que le théâtre a parlée, et dans laquelle M. Dumas fils, pour le malheur de son remarquable talent, a excellé plus que tout autre. Tous les défauts de cette école, qui se confond avec le réalisme, s’expliquent de la même manière. Comme Balzac, elle fait de l’histoire naturelle à outrance.

Nous l’avons dit, M. Dumas fils n’en a guère écrit qu’un chapitre, qu’il a voulu du reste faire aussi complet que possible. Cette longue monographie composée de plusieurs comédies ou drames va de Marguerite Gautier, la fille aimante et qui vend ses chevaux pour son amant, jusqu’à Albertine, qui n’aime personne, et qui attend d’avoir arrondi ses quarante mille livres de rente pour acheter un mari. Un grand nombre de variétés sépare ces deux types extrêmes du genre spécial sur lequel il a plu à l’auteur de fonder une sorte d’établissement littéraire. C’est le plus net de son œuvre. Loin de nous la pensée de douter qu’il ait cru en conscience faire une chose utile ! mais nous sommes également sûr qu’il faut toute la bonhomie que veut bien avouer l’auteur et qui paraît dans ses préfaces pour imaginer que de tels tableaux aient pu servir la cause de la morale. C’est ici le cas ou jamais de dire qu’un peu d’ignorance ne nuit pas au public, et qu’il n’est pas bon d’apprendre à ceux même qui ne s’en soucient pas de combien de manières les mœurs sont menacées de périr. N’insistons pas sur la moralité des comédies de M. Dumas fils, c’est une question jugée par le bon sens et le goût, sinon par la curiosité maladive de la foule. L’auteur a passé lui-même condamnation sur son théâtre, puisqu’il s’est défendu des offres de l’autorité en opposant spirituellement sa dangereuse réputation, et qu’il a couvert du renom douteux de ses pièces la liberté de son industrie. Quand il s’est exprimé en ces termes dans la préface du Demi-Monde : « Je fis observer au ministre qu’il fallait voir en moi un auteur de tolérance, et que ma littérature relevait bien plus de la préfecture de police que du ministère des beaux-arts, » sous l’ironie des paroles il y a une confession ; il s’exécute avec grâce, et se charge lui-même d’indiquer les griefs sévères que l’art a le droit de conserver contre lui. Restons dans les limites de notre cadre en faisant remarquer que cette exhibition peu décente d’une plaie sociale était encore une manière de pratiquer les leçons de Balzac, mais que le disciple aggravait sa faute en évitant de